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« Que manque-t-il à notre pays ? »

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Cette interrogation est le titre du propos de Jean de France, Duc de Vendôme, dans le numéro de juin 2005 de la lettre de l’association « Gens de France » : « Que manque-t-il à notre pays ? »

Monseigneur, vous y parlez en termes simples, d’évidences, en ces heures de France où nul ne sait plus quelle voix a la sagesse et l’autorité de parler au nom de cette terre, ce peuple pétri par l’Histoire. En ces heures où les mots même de « terre », de « peuple », « d’histoire » donnent à penser à quelque songe d’un esprit rêveur, à quelques tournures d’une raison pire, poétique. En ces heures, donc, qui peut parler ? Qui peut dire encore les mots ? Qui les prononçant peut être entendu ?

Monseigneur…

À vous évoquer par ce mot, je n’ignore rien des pauvres sourires ou de la mortelle ironie des rires qui flétrissent les lèvres et irritent les gorges des « libres » qui m’entendent. Mais je sais, je sais de vous être loyal par amour de mon pays, qui êtes le loyal à l’Histoire par amour de l’éternité, qui hors ce Monseigneur par lequel je vous nomme, plus aucuns mots, plus aucuns noms ne nous permettront de repenser ces vérités.

Monseigneur…

Permettez-moi d’en appeler à vous, que ces lignes ne s’écroulent, que la raison n’abandonne devant la tâche inhumaine d’immensité, que le désespoir ne survienne et ne nous jette au « n’importe qui » si français des printemps de quarante. Permettez-moi de l’écrire à la voix haute que soit sans cesse à mes pensées l’écho de ce qui est quand il ne reste plus rien, car voyez-vous, Monseigneur, la question est moins de savoir ce qui manque que de poser ce qui demeure, et ne demeure rien, rien d’autre que : Monseigneur.

Il ne reste rien.

À lire depuis le référendum du 29 mai, tous ces développements, dans Le Monde ou Le Figaro, toutes ces approches, ces analyses, ces commentaires savants, allant des « réflexions » d’un ex-président au dossier d’économie sur la sociologie de la nouvelle classe moyenne, en passant par les « états d’âme », les ultimes aspirations des cadres et cadres sup’… on est pris de vertige.

Dans tous ces textes, tous ces écrits, posés, pensés, argumentés, pas un mot, la plupart du temps, ou parfois, à la comme-ça, tel un élément parmi d’autres : Le fait chrétien, le fait de la civilisation de la Parole faite chair. Un simple élément parmi d’autres, réduit à un point de plus en plus excentré du domaine privé. Le christianisme parqué, ghettoïsé au niveau du « je crois ou je ne crois pas » des moi-moi-moi livrés à un État naviguant à l’aveugle sous la pression de l’arithmétique anonyme des masses. La bureaucratie, pour reprendre le mot clef de l’article de Richard L. Rubenstein dans le dernier numéro1, étant devenue l’ultime ciment d’une décohésion généralisée. Une bureaucratie avec son aristocratie, l’énarchie, composée d’intelligences réelles formées au service d’un État à l’état de ruines d’être né d’une démolition.

C’est qu’il existe en France un point central hors la saisie duquel rien ne peut être pensé. Un point central à la réalité si dense à la densité si discrète, si humble, que l’appréhender c’est se trouver face à la célèbre, la magnifique « chambre vide » du Palais du Prince de Citadelle, que Saint-Exupéry décrit ainsi : « Il y avait la salle réservée aux seuls gens des ambassades, et on l’ouvrait au soleil les seuls jours où montait la poussière de sable soulevée par les cavaliers, et, à l’horizon, ces grandes oriflammes où le vent travaillait comme sur la mer. Celle-là, on la laissait déserte à l’occasion des petits princes sans importance. Il y avait la salle où l’on rendait la justice, et celle où l’on portait les morts. Il y avait la chambre vide, celle dont nul jamais ne connut l’usage – et qui peut-être n’en avait aucun, sinon d’enseigner le sens du secret et que jamais on ne pénètre les choses. »

Ce qui fait la force poétique de Saint-Exupéry, dans ce texte, c’est que la chambre est vide. Et ce qui fait la puissance évocatrice, ce qui permet à la raison d’accéder sans contrainte au propos, c’est qu’il s’agit précisément d’un texte littéraire. L’esprit va là, parce qu’il y va libre. Art n’oblige.

Or, il existe en France un « lieu » qui est semblable à cette chambre vide. Ou plutôt, ce « lieu » est le centre qui fait que la France est, et sans lequel la France ne serait qu’un ex-…, qu’un en dehors de toute réalité profonde. Or ce « lieu », – et là nous ne sommes plus dans le littéraire –, n’est pas vide.

Je conçois par avance, que les mots qui vont suivre, parce qu’ils ne s’inscrivent pas dans l’ordre du poétique, agiront sur l’esprit à la manière du poisson torpille, mais ne me présentant à aucun suffrage, et en vertu de la grâce qui m’a été faite de pouvoir me sentir libre et dire : « Monseigneur », les voici : « La chambre vide » de la France, ce centre qui est tout, et tout sauf le vide, c’est que ce pays a été dédié à la Vierge Marie, la Jeune Fille Juive.

Le serment de Louis XIII, le serment d’un roi. La France placée sous la protection de la Mère du Christ. Blablabla… Un blablabla complètement délirant. Est-ce si sûr ?

À cela je réponds, moi qui dis « Monseigneur », d’où viennent les mots qui a chacun de nous permettent de dire : je pense ? D’où vient ce « je » ? Toi qui dis « je » remonte de génération en génération, de siècle en siècle et vois ce qui l’origine. Toi qui affirmes « je pense », pense réellement et va, va librement mais sans tricher, sans faillir, deviens héroïque et humble dans ta recherche et découvre par toi-même, que c’est le « je » de la Genèse, que c’est le « je » de la Parole.

À cela je réponds, moi qui dis « Monseigneur », à toi qui seras allé jusque-là, ce monde est celui de ce « je ». Regarde, examine, analyse. D’où vient la science qui permet aujourd’hui de calculer la température d’un trou noir dans les espaces sidéraux ? Qui a fondé ce « je » capable de penser une telle équation aussi musicale que des lignes de Bach ou de Webern ? D’où vient la philosophie qui, libre de raison, peut même dire : Dieu n’est pas ; ou le langage est le fait des hommes ? D’où viennent toutes ces pensées, où s’originent ce « je » et ce « libre » ? D’où viennent les chefs d’œuvre qui émeuvent, qui transforment les âmes, qui parfois peuvent changer une vie ? Quel est ce « je », et où s’origine-t-il qui a fait naître dans son esprit ce qui bouleverse et porte, et transporte ?

Moi, moi qui dis : « Monseigneur », là, dans la cité, pour la cité, j’ai vu, à remonter de siècle en siècle la pensée, que « je », par la Parole, a été choisi en elle « avant la fondation du monde » (Ep.1,4). Chaque « je »… « avant la fondation du monde »…

Moi, moi qui dis « Monseigneur », là, dans la cité, pour la cité, je dis à celui qui me répondit tout à l’heure : blablabla… Voici un temps où c’est le sublime ou le néant. Chacun est responsable, puisque chacun est « je » « d’avant la fondation du monde ». Le sublime ou le néant ; la Parole ou Blablabla…

Toi, oui toi, regarde le monde d’après le 11 septembre. Qu’y a-t-il derrière les puissances en présence ? Entre l’argent roi de la super puissance, qui est de la Parole, mais sans la Vierge, et le peuple des rois de l’or noir, qui sont de la négation de la Parole faite chair… Où est le blablabla ? Sans l’or noir, qui n’était rien, si notre technique n’avait inventé la machine, que seraient leurs religions aujourd’hui ? Sans la Vierge, qu’est-ce qui empêche l’or et sa puissance de devenir morale, puis juge. Où sont les chefs d’œuvre ? Cités, montrez-moi les beautés extrêmes dont vous êtes capables, qui portent l’homme à l’être, montrez-moi la charité.

Moi je dis « Monseigneur » au nom du serment. Et je dis : ici, par ce serment la Parole parle à Je. Et par ce « Monseigneur » je dis : voici la cité. Et cette cité a quelque chose à dire dans le monde. Voici un temps où c’est le sublime ou le néant. Chacun sera responsable. Responsable de la voix de la cité, ou du silence imposé qu’elle méritera.

Un blablabla à faire rougir de gène le plus responsable des Évêques de Bretagne ou de Provence ; à faire sourire le plus démocratiquement élu des députés de Bruxelles ayant dû supporter depuis Giscard les leçons de laïcité des présidents hexagonaux ; à faire se tordre de rire un chef du Pentagone débarrassé de tout de Gaulle ; ou un ayatollah grand savant dans la science des bonnes femmes. Et en matière de savants, je ne parle même pas de l’immense portée de ce blablabla dans le contexte général, et ô combien plus ample de vue, de cette planète à l’échelle de 2000 ans dans son système solaire, au milieu de cette galaxie parmi une immensité vertigineuse d’autres dans un espace infini d’années lumière et de milliards d’années. Un blablabla d’illuminé à finir Léon Bloy ou fresquiste de chapelle livrée à l’abandon de terres sans prêtres. Y a quand même des monastères et des couvents pour les béats et des hôpitaux psychiatriques pour les malheureux qui ne peuvent se soigner par l’art.

L’espace intersidéral, la voie lactée, le système solaire, la terre, XXIe siècle de l’ère chrétienne, l’Europe, la France, 29 mai 2005. Décidément ! Un bateau ivre, oui, ce pays est un bateau ivre. Et l’histoire n’est pas un fleuve impassible.

L’Histoire… L’Histoire ? Celle du XXIe siècle ? Nous l’avons tous eue sous les yeux, il suffisait de regarder et voir. Quand ? Le vendredi 8 avril 2005. Pour ceux qui ont gardé les journaux du lendemain, il n’y a qu’à y revenir, longuement, patiemment, humblement. 8 avril 2005 : l’hommage à Jean-Paul II. Au centre, le cercueil. Dessus, une bible. Sur le bois, une croix. À la droite de la croix, un « M », pour Marie. On ne peut guère plus simple. Mais on ne peut guère non plus dire davantage. C’est radical. Le Pape, et Marie.

De chaque côté du cercueil, sur deux rangées, l’assemblée rouge des cardinaux. L’Europe, l’Afrique, l’Asie, l’Amérique, l’Océanie… Ils sont là, debout, recueillis. Sur le bois du cercueil, la couverture de la bible est du même rouge. Pour les amateurs de peinture, c’est à en lire l’harmonie secrète d’un tableau.

Et puis, derrière les cardinaux, les cardinaux des cinq continents, les chefs d’État. Les chefs d’État de tous les continents. Et c’est là, maintenant, qu’il est question de voir ce qui était, là, sous le regard. Voir Quoi ? Les deux premiers rangs…

Les deux premiers rangs ? Oui, l’ordre, la hiérarchie des puissances de ce monde… La hiérarchie réelle. Où est Bush ? Où est Chirac ? Ils sont au deuxième rang. Ils sont même côte à côte, séparés par leurs épouses. Côte à côte derrière… Mais derrière qui ? Derrière qui peut bien être Bush ? Qui sont donc ces chefs d’État plus éminents que le Président des États-Unis. Qui se trouvent à ce premier rang dont on remarque, à l’examen attentif, qu’ils n’ont pas les mêmes sièges que pour les rangs suivants ? Qui ? Les rois et les reines… Chirac est derrière le Roi d’Espagne, Bush, derrière le Roi de Belgique. Les têtes couronnées. Oh ils sont là sans couronne, bien sûr, rien dans leurs vêtements ne les distingue des autres. Mais ils sont là, devant. Pourquoi ?

Mais parce qu’ils ont vécu le sacre, bien sûr ! Le sacre, ou le pouvoir sacré. Le pouvoir agenouillé recevant l’onction du spirituel. Le pouvoir reçu non d’eux mais de Dieu. Et ça ce n’est pas de la poésie, ce n’est pas du théâtre, c’est là, sous nos yeux : le cercueil, le M de Marie, les cardinaux, les rois, les présidents.

Le serment de Louis XIII dédiant la France à la Sainte Vierge, la plaçant sous sa sainte protection…

C’est curieux comme soudain, par une photographie reproduite dans le monde entier, le lendemain des obsèques d’un Pape, ce serment puisse ressurgir, porté par le fleuve souterrain de l’Histoire. Un soudain neuf. Un soudain lumineux ; que ne ternit, n’alourdit, ni le refuge des hiers perdus, ni la hâte désemparée des demains à trouver. Un soudain neuf, miraculeux à l’esprit comme le réel. Le soudain des brumes disparaissant, le neuf du réel à nu, enfin, libéré des nuées stratifiées, de l’Ecce Rex de Janvier 93 à l’absolutisme de la souveraineté énarchique de notre heure bureaucratique.

C’est curieux comme cette photographie, qui a fait le tour du monde, soit si française dans son adresse. Au premier rang, le Roi d’Espagne fixe le cercueil. Le Roi de Belgique, les mains derrière le dos, cherche du regard un point sur sa gauche. Juste derrière, Chirac parle… Il parle avec Bush. Le chef de la superpuissance économique née du protestantisme, le chef de l’énarchie française qui, malgré les demandes répétées de Jean-Paul II, a lutté pour que soit absente du futur projet de constitution européenne toute référence au christianisme… Derrière des rois, parlent…

Ils parlent, là, devant la dépouille de l’homme qui, à plusieurs reprises, et de façon solennelle a rappelé : France, souviens-toi de ton serment.

Il faut imaginer la densité extrême des échanges directs, ou par hauts émissaires interposés, qui ont existé entre ces trois hommes. Qu’on se souvienne, pour en prendre la mesure inouïe, de ce qui s’est passé entre Jean-Paul II et Gorbatchev et qui aboutit à la chute du Mur. La Stampa publia en 1992 à ce propos, un document fascinant dont le journal Libération sortit la traduction le 4 mars :

Extraits de « Ce que nous devons à Jean-Paul II », par Mikhaïl Gorbatchev :

« Il n’est pas facile de décrire le genre d’entente qui s’est créée avec le Pape Wojtyla, parce qu’il y a dans ce type de relations un aspect instinctif ou peut être intuitif, certainement personnel, qui a une énorme importance. En simplifiant, on pourrait dire qu’en étant proche de lui, j’ai compris le rôle joué par le pape dans l’avènement de ce qui a été appelé plus tard la nouvelle pensée politique… J’ai toujours apprécié dans la pensée de ce pape, son contenu spirituel, un effort pour contribuer au développement d’une nouvelle civilisation dans le monde. Par ailleurs, Jean-Paul II, Pape de Rome, est aussi slave et cela a, sans aucun doute, favorisé notre compréhension mutuelle. Je reste toutefois convaincu que l’entente spirituelle qui existe entre nous a des racines plus profondes que sa seule origine slave. Nous pouvons affirmer aujourd’hui que tout ce qui s’est passé en Europe Orientale, au cours de ces dernières années, n’aurait pas été possible sans la présence de ce pape, sans le rôle éminent – y compris sur le plan politique – qu’il a joué sur la scène mondiale. Aujourd’hui qu’est survenu dans l’Histoire de l’Europe un changement profond, le pape Jean-Paul II aura, quoiqu’il arrive, un grand rôle politique à jouer. Nous sommes dans une phase très délicate au cours de laquelle l’homme a, et devra avoir un poids décisif sur l’avenir des sociétés. Et tout ce qui peut servir à renforcer la conscience de l’homme, son esprit, est encore plus important aujourd’hui que cela ne l’a jamais été. »

Extraits de « Ce que Jean-Paul II a dit de Gorbatchev » :

« Il faut approfondir la réflexion sur les évènements récents, repérer les causes véritables des phénomènes qui se sont produits. Il y a par exemple des gens qui, comme Popper, sont convaincus que les difficultés économiques sont à l’origine de la crise des systèmes communistes d’Europe Orientale. Certes, cet aspect existe, et il a joué son rôle ; mais n’oublions pas une chose très importante, tout cela n’a pas été seulement la crise du communisme ; ce fut aussi la perestroïka. Et “perestroïka”, parmi beaucoup d’autres choses, veut dire aussi « conversion ». « Cela veut dire que dans la crise et la rupture qui sont survenues et qui continuent, il y a un élément spirituel, un changement intérieur. Et il ne peut en être qu’ainsi. Deux éléments coexistent en l’homme, et une interprétation exclusivement spirituelle des évènements de l’Est serait tout aussi fausse qu’une interprétation seulement matérielle, incapable de voir au-delà de la dimension purement économique de la crise. L’homme est l’esprit incarné. » « C’est vrai. Il s’est passé entre nous quelque chose d’instinctif, comme si nous nous connaissions déjà. Et je sais pourquoi : notre rencontre avait été voulue par la Providence. »

Ces brefs passages pour prendre la mesure… la mesure des échanges qui ont nécessairement eu lieu entre Jean Paul II et Chirac, entre Jean-Paul II et Bush. Avec Chirac, parce que pour le pape, à Lourdes comme partout où il viendra, ici, il n’avait de cesse de dire : « France, Fille aînée de l’Eglise » ; « France, fille aînée de l’Eglise, souviens-toi de ton baptême ». Souviens-toi de ton serment…

Ce n’est pas une évocation d’érudit, de curieux, d’historien spécialiste d’archives poussiéreuses. C’est une demande insistante, la demande du pape, cet homme qui abattra le Mur, qui l’abattra avec l’aide de l’homme de l’Est, dont la rencontre fut voulue par la « Providence ».Ce ne sont pas des nuées. Gorbatchev n’était pas un poète, et l’U.R.S.S. pas une chapelle fleurie par les bigotes.

Et cet homme, à plusieurs reprises, est venu ici rappeler le serment. Cet homme, à plusieurs reprises, est intervenu, pour que Chirac ne s’obstine pas à lutter contre toute référence chrétienne dans le projet de constitution de l’Europe.

Il faut prendre la mesure du refus de Chirac. C’est sans doute là, qu’il est possible de prendre le pouls de l’Histoire. Il ne s’agit plus de coller son oreille à la porte d’un conseil des ministres où il sera question des 35 heures ou de la vente de X Airbus en Inde ou en Chine. Il ne s’agit plus de l’imaginer avec tel ou tel confident, commentant tel ou tel sondage, abordant tel problème technique. Non… On est dans l’intime. On est dans la part la plus épicentrale de la pensée. Il faut pénétrer la pensée d’un Roi d’Eschyle ou de Shakespeare, pénétrer cette solitude qui va décider. On n’est plus là, dans les catégories intellectuelles opératoires, dans les savantes analyses énarchiques mais dans l’isolement ultime du Palais, tel en parle Saint-Exupéry.

Il ne s’agit pas de juger. Dieu nous en garde. On n’est pas chef d’un État, donc d’une armée, d’une police, sans connaître la grande insomnie des terribles soucis. De juger non, mais d’observer, de constater.

Et je crois, d’avoir entendu et entendu les demandes pressantes du pape, qu’on ne peut plus être qu’effrayé. Il n’y a plus d’homme au centre du Palais. Il n’y a plus d’homme ; mais une force que nul ne maîtrise plus. Une force absorbante, dévorante, une sorte de ventre contre lequel nul aujourd’hui ne peut.

Nous sommes un État laïc. Ni roi, ni sacre, et aucune référence à Dieu, au Christ. La philosophie, la théologie, la peinture, la littérature, la musique… des à-côtés de cette norme établie : tout est séparé. Une machine à former les plus prometteuses intelligences, crée sans cesse ces serviteurs zélés de cet État abstrait. Un groupe demande qu’on empêche les cloches de nos églises centenaires ou millénaires de sonner le dimanche… et il obtient gain de cause.

Ô rites… Ô Citadelle… Il faut supprimer un jour férié, ce sera un jour saint parmi les plus saints : La Pentecôte (le lundi célébrant la venue de l’Esprit Saint sur les apôtres cinquante jours après le dimanche de la résurrection)… Ô rites… Ô Citadelle… Un groupe de nouveaux venus dérange par ces voiles provocateurs… il obtient que ceux qui ont fait ce pays retirent leur croix.

Il ne reste rien, car il ne peut rien rester. Il ne peut rien rester de ce qui a fait ce pays, cette terre, cette géographie, cette âme, ce nous pétri par les rites, par l’histoire, par la pensée, par l’Esprit, parce que ce pays n’est plus une terre, une nation, un nous, mais un lieu soumis à la plus étrange des abstractions. Et il n’y a pas d’équivalent dans le monde chrétien à un tel égarement. C’est unique. C’est même fascinant. Il ne reste plus rien. Les remparts de Citadelle sont tombés. Le sable du désert envahit tout. Il ne reste plus rien et le dire jette à la critique. Les amoureux passent pour des voyous. Dire : « France, je t’aime… » ; « par la grâce de la Vierge qui fait de toi la fille aînée de l’Église, je t’aime » ; « par les Marie débarquées en Provence, je t’aime » ; « par tes cathédrales hautes d’humilité, je t’aime » ; « par leurs orgues, par les graduels, les tropes à saint Paul, je t’aime » ; « par les places de dimanche matins aux villages de Bourgogne, je t’aime » ; « par tes enclos, tes pardons, tes bannières de Bretagne, je t’aime » ; « par tes vendanges, tes fêtes d’Alsace ou d’Aquitaine, je t’aime » ; « par ton histoire, de rois, de peintres, de philosophes, de musiciens, je t’aime » ; « par tes héros, tes savants, tes moines, tes abbesses célèbres, je t’aime » ; « par tout ce que tu fus, courageux ou râleurs, tout ce que tu fus dans les épreuves, peuple, peuple du nous, je t’aime ». Car tout ce que tu fus, peuple, peuple du nous, tu le fus depuis le début, et de toute éternité, si tu relis le début de l’Epître à Ephèse, et depuis le début, de toute éternité, tu es le peuple, le nous de la Vierge. C’est un « je t’aime » qui vient du plus loin de l’histoire et contre lequel rien ne peut, ni ne doit.

Rien ne peut, de pouvoir dire : ô vingtième siècle, ô vicissitudes, par vous je vois les nettetés qu’avant nous, peut-être, nul n’a vues. Je vois l’Histoire comme l’eau qui s’ouvre à l’avant du navire, et de la voir, de la sentir, dire à nouveau : « J’aime » comme nul avant nous n’a aimé. Les pontons du passé nous ouvrent le fleuve qui entre dans la France comme jamais nul n’entra. L’étrave fend et file vers le cœur. C’est l’heure où la mémoire s’éventre, où « J’aime » enfin ose « Je me souviens », « Je me souviens » de ce siècle qu’on appelle avenir. Qui que vous soyez, ne me répondez pas : « Tu aimes, mais quoi ? et comment peux-tu dire que tu aimeras ? » À cela, j’affirme, qu’aujourd’hui je n’aime ni ceci ni cela, mais j’aime. Par le serment mis à nu, par le siècle d’avant, j’aime comme nul avant, de le vivre jusqu’au confiant. Jamais, France, tu ne fus si réelle, et jeune. Jamais, France, autant, tu ne fus, non d’avoir été ceci ou cela, mais de nous faire, nous, les premiers à voir, au net, ce que tu es et attends de nous, par la Vierge d’Israël, par le serment d’Alliance catholique et charnelle. Jamais nous ne fut si dense, jamais si dense tu ne fus, France. Déjà j’entends des musiques et goûte des peintures qui sont les nouveaux portraits de Luc.

Et rien ne doit, jusqu’au qu’importe. Les apparences sont mortes.

Rien ne peut, puisque c’est de l’éternité. Mais rien ne doit, puisque c’est nous et que ce nous est une grâce dont nous sommes serviteurs, et humbles remerciant. C’est une grâce toute de tendresse. Et à cette tendresse il faut tout la force de l’Esprit.

Il ne reste plus rien. Rien. Je ne juge pas Chirac. Dieu m’en garde. Je lui dénie simplement toute représentation de nous. J’ôte la France à sa pensée. Je ne lui laisse que l’abstrait de l’État, je lui ôte la France et lui laisse ce qui reste : rien. Et je le fais avec tendresse. Je chasse l’abstrait de la Citadelle, je…

Qui je ?

Moi qui dis « Monseigneur ». Moi qui ne suis ni prince, ni savant, ni riche, ni philosophe, ni peintre, ni musicien, mais moi, qui dis « Monseigneur ». Moi, qui de le dire, ai retrouvé le prince sans qui la cité est sans palais, la cité qui sans palais, n’est plus Citadelle. La cité qui n’est plus rien. Moi qui ai retrouvé le Prince sans autre mérite que d’avoir appris à comprendre l’amour que je portais en moi, depuis toujours, de ce pays qui est le mien d’y être né, d’y avoir mes ancêtres enterrés, et d’avoir de ses grands hommes, de ses femmes magnifiques, tout reçu.

Moi, je n’avais rien fait, et j’ai tout reçu : les livres et les musiques, les champs bien tracés, les églises pleines de sculptures, les cimetières riches de mémoire, et les rites… Les rites qui marquent ce temps, qui l’empêchent de tout mener à la désolation, à la mort. Les rites qui lui donnent, à ce temps, la patine de l’éternité. Et ceux qui marquent l’espace, qui l’empêchent de tout mener à la dispersion, à la disparition. Les rites qui lui donnent, à l’espace, l’ordre très charitable du divin de toute chose, de toute chose lorsqu’elle est de l’être, lorsqu’elle participe à ce qui accomplit et non ce qui détruit.

Et les rites, de secrets en secrets m’ont mené, moi qui ne suis ni philosophe, ni savant, à l’amour de l’amour. L’amour, chacun le porte en soi à sa naissance. C’est un don. C’est donné avec la vie. C’est la vie. L’amour des parents, l’amour ensuite des paysages de l’enfance, l’amour d’ici. Et de tout avoir reçu, d’être si riche d’héritage, d’accomplir cet amour reçu en le transmettant à mon tour. Transmettre, ce qui a été donné… Pour cela, pour que quelque chose ne soit pas perdu, ni abîmé par le temps, apprendre du recevoir de la naissance le secret le plus haut, le plus simple, le plus humble, le secret de l’amour.

Et de rites en rites, les secrets m’ont mené à l’histoire et m’ont fait voir Citadelle. Par l’histoire, j’ai retrouvé le prince grâce à qui, dans les rues de la cité, je peux dire : « Monseigneur ». Et par Citadelle, j’ai eu la grâce de connaître la chambre vide du Palais.

Le serment de Louis XIII.

Il n’en reste rien.

Il reste tout.

Aux pauvres grandes intelligences abstraites qui occupent le palais, mais qui jamais ne connaîtront la chambre vide, moi, qui dis « Monseigneur », je dis : Construisez avec vos abstractions une cité. Bâtissez-la de rien, et quand elle sera achevée selon vos lois, invitez nous à venir la voir.

Alors nous comparerons les bienfaits que chacune apporte à l’homme. Nous comparerons le bienfait suprême des cités : aider à devenir un homme. Vous qui êtes sans ciel, vous qui proclamez que le ciel n’est rien dans la construction des cités, construisez-en une de A jusqu’à Z, sans utiliser de rien, puisque vous le proclamez, et nos rites et notre héritage de pensées sublimes. Moi, qui dis « Monseigneur », je ne vous juge pas, Dieu m’en garde, je vous demande simplement de bâtir de rien votre propre cité, et vous me la ferez voir lorsqu’elle sera achevée. De cette cité sans ciel, vous nous ferez partager les beautés, les pensées, les chefs d’œuvres, les créations de l’esprit qui témoignent de ce qu’est l’homme. Et nous rencontrerons les hommes de votre cité, et nous comparerons les architectures, les musiques, les peintures. Et nous inviterons les hommes, les femmes de chaque cité à lire les livres, les poèmes des uns et des autres, à voir les peintures, à goûter les philosophies. Et nous demanderons aux hommes et aux femmes de chaque cité : qu’avez-vous aimé ?

Je ne vous juge pas. Je dis, moi, qui dis « Monseigneur », vous ne le pouvez pas. Vous ne pouvez, avec vos seules lois, construire de rien, dans le désert, votre propre cité. Je crois que vous n’existez que parce qu’ici étaient des rites, était l’histoire, est la « chambre vide ». Vous ne créez rien, je le crains, non, je le sais, vous occupez.

Moi, qui dis « Monseigneur », je dis aux peuples d’autres dieux, Ici est Citadelle. Les portes ne sont pas fermées, mais ici est Citadelle. Ici sont ses rites, et son ciel. Si vous venez en ami, c’est que vous êtes des hommes accomplis, et si vous êtes des hommes accomplis c’est que le Dieu de votre ciel vous a permis de bâtir aussi, dans le désert, une forte cité. Nous aurons plaisir à y voir, y admirer les chefs d’œuvres de l’art et de l’esprit que les hommes les plus accomplis auront accomplis. Et je sais que ces chefs d’œuvre vous manquent, dès que vous vous en éloignez trop longtemps. Je sais que vous n’êtes ici, que pour partager avec nous, sur le sublime. Mais si vous venez à Citadelle avec de mauvaises intentions, c’est que vous n’êtes pas des hommes accomplis. Et si vous n’êtes pas des hommes accomplis, c’est que la cité d’où vous venez ne forme pas des hommes. Et si votre cité ne forme pas des hommes, c’est que ses lois sont mauvaises, et son ciel mensonger.

Ici est Citadelle. Aux hommes accomplis nous dirons : Venez, et nous parlerons du sublime. Aux hommes envieux ou méchants, nous dirons : Prenez-vous en à votre ciel qui vous apprend la haine.

Le sublime n’envie, ni n’est méchant.

Quant au chef de l’État aujourd’hui le plus puissant du monde, moi qui dis « Monseigneur », je dis : Je n’envie pas ta puissance. J’aime ton peuple, il est jeune et plein de fougue. Mais je n’en envie rien. Il manque à ton pays la « chambre vide » du palais de Citadelle. J’aime ton peuple, homme puissant, mais moi qui dis : « Monseigneur », j’aime. Et c’est ce « j’aime » qui m’en a fait découvrir l’existence. Et c’est son existence, sa présence, qui chaque jour que le ciel fait me fait dire de plus en plus « j’aime ». Et par ce « j’aime » je sais que tout est du sublime, ou rien n’est. Je sais qu’il n’est de puissance qu’en le sublime, et que sa puissance est tendresse, et que celle-ci est la patience, qui est la patine de l’éternité qui prend tout son temps pour permettre aux hommes de devenir des hommes accomplis.

Je n’ignore pas que tu ris de la France, parfois, homme de l’État puissant, je crois que tu te trompes. Tu ris des pauvres intelligents qui occupent le Palais sans en connaître la « chambre vide ». Mais je vais t’apprendre une chose, moi, qui dis « Monseigneur », Citadelle c’est nous. Mais qui « Nous ? » Me répondras-tu. Nous, ceux qui de rites en rites veillent à la « chambre vide ». Et l’homme à qui nous disons « Monseigneur » vient d’écrire ceci :

« Que manque-t-il à notre pays ? Le lundi de Pentecôte a donné le sentiment d’un grand cafouillage. Triste image de notre pays qui révèle un malaise plus profond. Ce malaise se retrouve un peu partout. Nous l’avons vu lors de la campagne référendaire dont on sait que ses enjeux sont purement idéologiques et fortement connotés d’ambitions personnelles. Chacun a interprété le traité à sa façon. Tout a été brouillé.

Et pourtant, quand je parcours notre pays, je rencontre partout les artisans d’une France vivante. Il n’est pas besoin d’être grand clerc pour voir que c’est grâce à eux que la France continue : c’est vrai dans la société civile comme dans la vie publique, dans le monde militaire comme dans le monde religieux.

Alors pourquoi et comment les Français sont-ils amenés à se poser tant de questions sur leur avenir ? Et cela dans un monde incertain, instable, difficile où nous vivons.

Ce n’est pas que le ciel ne sourit pas. L’Église n’a-t-elle pas manifesté sa vitalité lors de la mort de Jean-Paul II et de l’élection de Benoît XVI ?

Moment de grâce et de bonheur d’où jaillit l’espérance. Il n’est rien de tel pour apporter l’apaisement. Non, l’Église ne faillit pas à sa mission, même si elle a traversé et traversera encore des moments difficiles. Il suffit de croire et de vouloir, donc d’aimer.

Et la France ? La France en elle-même ? La France dans le monde ? Chacun a l’intuition qu’il s’agit pour elle de trouver son point d’équilibre.

Voilà ce qui manque essentiellement ! Ce point de sagesse qui lui permettrait de se retrouver elle-même et d’acquérir ce supplément d’âme dont elle a tant besoin pour envisager son avenir sereinement et rayonner dans le monde. » (In « Gens de France » n°5, juin 2005.)

Pays aux ciels divers, la France est Citadelle. Chefs de pays nombreux, la seule parole que vous devez entendre de France est la sienne. Elle porte en elle la charge du serment, du serment de Louis XIII sans laquelle la France n’est pas.

Elle est la voix de la France. Et la France, par ce serment, est une voix. Malgré les vicissitudes, les peines, les souffrances, les médiocrités du temps, au cœur de Citadelle est le Palais, et au cœur du palais est la chambre vide, et dans la chambre vide est l’éternité. C’est le secret de notre histoire.

Un serment si sublime qu’il est dur, immensément dur d’en être digne. C’est pourquoi ce peuple, le peuple de Citadelle est si horripilant, si tout ce qu’on veut. C’est si dur d’être à la hauteur du sublime.

France, fille aînée de l’Église.

Que le ciel nous aide, chaque jour, à être un peu moins indigne, de cet éternel héritage, qui est l’héritage de l’Histoire elle-même.

À la joie !

H. L. B.

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Si tu te fais vraie

allia couvr

Pierre Boutang et le sionisme

Je ne cesse depuis la mort de Pierre Boutang de repenser au lien qui nous a unis pendant plus de trente ans, et je sais que la question d’Israël y tient une place essentielle. Au-delà de la profonde admiration de ma part et de son indéfectible amitié pour moi, je crois que la relation annonçait en métaphore une nouvelle alliance que j’ai évoquée à plusieurs reprises entre Juifs et Chrétiens, la Techouva dont parlent Nos Sages et qui dit réponse là où l’homme essaie de réparer. De 1967, année de notre rencontre, à sa mort, c’est dans ce dialogue, dans cette réparation et dans l’attente de la nouvelle arche que Pierre Boutang s’est placé. En exergue de mon intervention je souhaiterai citer les deux petites strophes du Poème delphique qui se trouve dans la note de « l’Oraison pour une fin de l’été » reprise dans l’Apocalypse du désir (1) :

si tu te fais juive
pour refuser le dieu venu
pour tuer tout le faux des dieux
et même pour retrouver les eaux vives
des jours de l’origine
je me ferai amalécite
je ravagerai les plaines,
y étant descendu.

je meurtrirai l’ancien corps de ta haine
du dieu qui n’est pas venu
je mettrai sur la croix ton ignorance
j’enfoncerai ton refus avec les épines
du chemin que j’ai parcouru
où j’ai meurtri mes pieds,
rêvant d’anéantir ton ombre qui dit non.

mais si tu te fais vraie
non aveugle
d’un seul éclair sur ton temple réel
si tu te retrouves
fais renaître
l’ancien corps gardé de serpents
de l’enfant Apollon plus vrai dieu dans ses sources
alors je me ferai juif
pour mêler ma prophétie criarde à ton oracle net _ ensemble nous irons _ juif neuf et Pythie non diseuse
ravager, extirper sur les pentes
mes vergers incertains de haine amalécite
si tu te fais vraie.

Sans entreprendre ici une analyse de la relation de Pierre Boutang au judaïsme, je souhaite à la lueur de ces deux strophes proposer ma perception de sa vision du sionisme, que je ne peux m’empêcher d’appeler « vers Sion », dans la mesure où elle est aussi « ma version ». Comme beaucoup, il a connu le sionisme d’abord par ses réalisations politiques, sociales et économiques avant de le connaître en tant que philosophie nationale. Pressentant qu’il y avait dans le sionisme le ferment d’un héroïsme juif, il en accepta l’augure et prit avec courage les positions que l’on sait, notamment au moment de la guerre des Six jours de 1967. Dès lors, il commença à mon sens une approche nouvelle du nationalisme juif. Trois « sionistes », à ma connaissance, ont impressionné son jugement. Bernard Lazare, rencontré à travers Maurras et l’Affaire Dreyfus, qu’il retrouva ensuite au moment de la rédaction de son livre sur le fondateur de l’Action Française (2), et dans lequel il montre l’erreur du maître sur le personnage de Bernard Lazare. Puis Theodor Herzl, connu à travers deux livres, L’État des Juifs et Altneuland (Terre Nouvelle – Terre Ancienne). Ce dernier texte, moins connu, est un récit utopique sur le futur État juif, et présente notamment une critique acerbe des régimes à faiblesse démocratique. Enfin Zeev Jabotinsky, le fondateur du mouvement révisionniste au sein du mouvement sioniste, organisateur avec Joseph Trumpeldor de la première armée juive moderne, traducteur en hébreu de Poe et de Baudelaire et que Pierre Boutang connut par mon intermédiaire. Plusieurs textes de Jabotinsky ont été traduits en français pour ma thèse, notamment l’article « Le Mur de fer », texte fondamental du nationalisme juif et « Le Front de la guerre juive » dans lequel Jabotinsky initie une différence entre l’antisémitisme des hommes et l’antisémitisme des choses, et propose une autre approche de la relation du peuple juif à l’histoire. Le sionisme livre à travers Herzl, Lazare et Jabotinsky le secret d’un autre retour. Pas le simple retour à la terre, mais la redécouverte de l’honneur, celui de Lazare allant au duel avec Drumont, ou la belle expression de Jabotinsky « Yehudi Ben Melekh » – « Chaque juif est un Prince », ou encore la phrase de Herzl dans son Journal « …Juif qui est aujourd’hui un terme d’opprobre, deviendra un titre de noblesse… » Cette nouvelle seigneurie de soi-même recueillie dans l’aventure sioniste, Pierre Boutang l’a saisie dans toute sa grandeur et son humilité à la fois. Ce nouvel héroïsme ne s’arrête pas à un roman de chevalerie, pour reprendre le titre de sa préface à sa traduction de L’Auberge Volante (3) et dans laquelle il dit à propos de l’Irgoun et du groupe Stern, je cite « (..ils) renouaient brutalement avec une autre et profonde réalité. » On ne saurait trop encourager ces jours-ci à la lecture de cet ouvrage prémonitoire. Et cette seigneurie ne provient pas de l’attribution d’un certificat d’autochtonie ou de la capacité retrouvée de mouvoir une charrue sur un sillon familier, mais d’un retour à l’origine. Je cite Herzl, juif assimilé, dans son discours inaugural au Premier Congrès Sioniste : « Le sionisme représente le retour des Juifs au judaïsme avant que de représenter leur retour à la terre juive ». Le premier combat du sionisme a été celui de cette armée de « schnorrers » (mendiants) et de miséreux, tels que les désigne Theodor Herzl, contre la finance. Bernard Lazare, lui aussi rejeté par les milieux du Capital, verra dans le sionisme cette lueur pour les pauvres et les bannis, la renaissance d’une dignité perdue. Décrivant la Jérusalem nouvelle, Herzl y voit le moyen afin « que mon peuple, enfin ne soit plus le sale juif, mais le peuple de la lumière qu’il peut être ».
Le peuple juif n’est pas seulement « désorienté » par deux mille ans d’exil, mais il y a perdu parfois son judaïsme, remplacé par d’autres symboles dont Pierre Boutang a raconté l’histoire dans la fable du potier (4). Le sionisme, dans son aventure première, s’est placé dans cette guerre des signes, à partir de laquelle la libération nationale sera possible. Guerre intérieure ou perversion, voici un texte qui illustre bien cette problématique : « Qui est donc ce Youpin ? Un personnage, mes chers amis, qui revient régulièrement, le redoutable compagnon du Juif, dont il est si inséparable qu’on les a toujours confondus. Le Juif est un être humain comme les autres, ni meilleur ni pire… Le Youpin est par contre une caricature de la nature humaine, quelque chose d’inqualifiable, de vil et de répugnant. Ce qui suscite chez le Juif de la peine ou de l’orgueil ne soulève chez lui qu’une lâche terreur ou une grimace sardonique… Le Youpin est la malédiction du Juif. » Ce texte n’est pas issu de la Libre Parole de Drumont ou d’un roman de Céline, mais d’un article de Herzl dans le journal Die Welt paru le 15 Octobre 1897. Le sionisme a mené de front ces deux combats, donner, comme l’on dit aujourd’hui, une autre image du juif et rattacher le peuple à sa terre ancestrale. En se redonnant noblesse et honneur, le peuple juif peut prétendre à renouer les liens avec son passé. En visite chez Pierre Boutang, j’avais remarqué que dans son exemplaire de L’État des Juifs, il avait tracé un trait comme à son habitude le long de cette phrase : « S’il existe sur terre des prétentions légitimes à la possession d’un territoire, tous les peuples qui croient à la Bible devraient reconnaître ce droit aux Juifs ». Théocratie au sens propre, reprise du pouvoir par le peuple là où Dieu a parlé, Israël redonne-t-il son sens à l’arche sainte ? Pierre Boutang nous invitait à relire à cet égard Bossuet – La politique tirée des propres paroles de l’Écriture Sainte – pour y trouver déjà les principes d’une telle approche. Bossuet, que Boutang cite à la fin du La Fontaine politique, avait compris que la Terre Promise ne l’est pas à cause de son limon, mais en raison de l’origine d’une parole différente à un peuple rebelle dont il dit qu’« il se laissa toucher par l’idée d’un Dieu qui faisait tout par sa parole, et d’un Dieu qui n’était qu’esprit, raison et intelligence ». Et Boutang ajoute « Les signes ne pouvaient avoir pour les autres peuples le même sens d’intimité, et d’accomplissement d’une promesse explicite ; leurs analogies ne pouvaient que tendre à la reconnaissance éprouvée par le peuple juif devant la répétition, la réclamation triomphante des monuments de son passé ; c’est pourtant vers cela dont ils étaient exclus, sans être pour toujours délaissés de Dieu, que leur désir et leur parole poétique allaient tendre… » (La Fontaine politique, Paris 1981, p. 336-7). Car c’est de cela en premier lieu que le sionisme était annonciateur, un rejet de l’exclusion, une répétition du désir messianique et l’advenue d’une nouvelle parole poétique. Nous avions perdu les signes de l’intimité avec cette Terre d’Israël – intimité, mot qui je le signale en passant n’existe pas en hébreu, car même la parole intérieure pour le judaïsme c’est déjà de l’extérieur, Daber c’est toujours-déjà Davar la chose hors de moi. Alors comment avons-nous porté en nous l’amour de cette terre sans cette dimension de l’intime ? Mystère ontologique ou secret de famille, en tout cas à mon sens quelque chose qui n’a rien à voir avec les salmigondis sur le devoir de mémoire, dont l’historien Yossef Haïm Yerushalmi a bien montré qu’il n’est qu’une métaphore psychologique, utile parfois. L’amour de la terre est affaire de tradition, bien plus que de mémoire, car justement un peuple oublie lorsque la tradition est rompue ou rejetée.
Le sionisme essaie de replacer le peuple juif au rang des nations, et à cet effet il ne reprend pas à son compte les interrogations identitaires, sur la possibilité d’une transmission de la judéité sans judaïsme, sans tradition. Il oppose un refus immédiat à une dialectique du Juif éternel, qui resterait juif sans pratique quotidienne, dans l’ignorance totale de la langue des Prophètes et dans l’absence de tout engagement existentiel. La modernité nous a apporté ce que l’on appelle parfois le Judaeus Psychologicus, reconnaissable à sa sensibilité, à son intellect ou à son sens de la morale ou de la justice sociale. Curieuse conception de la judéité comme héritage d’une force affective inconnue, ou selon l’expression de Freud « le sentiment intime d’une même construction psychique ». En déclinant ce concept, on rencontre le juif culturel, le juif de kippour, le juif idéologique et bientôt le juif culinaire, Yerushalmi rapporte à cet égard l’expression fameuse de Heine « J’aime mieux votre cuisine que votre religion ». Le poète allemand ira beaucoup plus loin en comparant la judéité à une maladie incurable dans son poème « Le nouvel hôpital juif de Hambourg », littéralement : « ce mal de famille millénaire, le fléau ramené de la vallée du Nil, la croyance malsaine de l’ancienne Égypte. Mal incurable et profond ! Rien n’y peut, ni douche ni bain de vapeur, ni appareils de chirurgie, ni tous les médicaments que cet hôpital offre à ses hôtes. Le temps, dieu éternel, extirpera-t-il un jour ce secret qui se transmet du père à l’enfant ? Le petit-fils pourra-t-il une fois guérir, être raisonnable et heureux ? Je l’ignore… » Du Judaeus Psychologicus au juif honteux il n’y a qu’un pas, un saut qui a mené bon nombre de fils d’Israël à l’assimilation, à la renonciation et parfois au mépris de leurs origines. Le sionisme ne guérit pas, ne rend pas forcément raisonnable, et je ne suis pas sûr qu’il rende heureux, même si plusieurs des précurseurs du mouvement, tel Pinsker dans Auto-émancipation, le considèrent comme un remède à l’anomalie et à la maladie endémique dont souffre le peuple juif. Pierre Boutang a sans aucun doute vu dans le sionisme cette opportunité d’un retour de la nation juive au Livre et à la parole sacrée. Le souci politique permettant un retour au spirituel me paraît un des fondements de la pensée de Pierre Boutang, et à cet égard le sionisme peut à mon sens en être une des expressions dans le monde moderne. Il a tracé les nouveaux contours de notre fidélité, et de notre appartenance et peut nous permettre d’éviter les pièges de l’histoire. J’ose dire ici qu’il renouvelle l’alliance du sang et de la parole en et pour la Terre d’Israël d’une part, mais aussi pour la Tora d’Israël d’autre part. Pour reprendre une expression d’Emmanuel Levinas, « Le judaïsme est valable non pas à cause du “happy end” de son histoire, mais à cause de la fidélité de cette histoire aux enseignements de la Tora. Histoire qui est – comme elle le fut toujours – une Passion dans sa fidélité. » (Entre-nous, Paris 1991 p. 242-243). Les événements du siècle passé, et les crises profondes nées de ces événements n’ont fait que vivifier cette dynamique.
La plus profonde erreur de Herzl réside certainement dans son incapacité à croire que le monde ne nous pardonnerait pas une telle renaissance. Jabotinsky, pressentant la catastrophe de la Shoa, sans pour autant en appréhender l’étendue, savait, lui,que la souveraineté et le pouvoir sont comme l’affirme Boutang l’objet d’une lutte, et que dans celle-ci nous ne devons attendre aucune bienveillance. Le dialogue entre les nations s’accomplit aussi par la violence, par le scandale et la provocation. Provoquer c’est sortir de soi, et cela pour Jabotinsky ne peut se réaliser que grâce à la volonté nationale. La volonté est l’élément d’une nation qui nous permet de la dévoiler dans sa pureté et son existence. Idée proche du nationalisme de Barrès. Essayant de définir le « critère objectif d’une nation », Jabotinsky propose entre la naissance chez Maurras et le langage chez Renner et Jellinek, la notion d’« Étatité », autrement dit une idée de l’État qui relie les membres de la nation, assure la relation entre l’Autorité Souveraine et le peuple sans dominer. Jabotinsky refuse le principe de la Raison d’État à cause de la différence entre les hommes, non point en fonction de leur citoyenneté mais à partir de leur royauté. Pierre Boutang ne pouvait qu’adhérer à l’idée de Jabotinsky selon laquelle une société n’est jamais fondée sur l’égalité entre les citoyens mais, je cite, « sur la justice de leurs royautés particulières ». J’ai appris chez l’un comme chez l’autre, qu’il faut savoir regarder son origine, écouter son appartenance, sentir la valeur de l’ancien, et toucher la tradition pour pouvoir goûter le charme de son peuple. « L’essence du sionisme, affirme Jabotinsky, est constituée par notre réticence constante, ou plus exactement notre incapacité organique de nous réconcilier de façon durable en tant que groupe avec tout milieu social autre que celui que nous créerons par nous-mêmes dans notre propre État » (Leçons sur l’histoire juive). Une philosophie de la nation commence non par l’échec de l’assimilation ou par la pérennité de l’antisémitisme, mais par le constat, tragique parfois, d’une séparation fondamentale en l’homme, une rupture inévitable, un exil. La politique serait le moyen de ne pas rendre cette séparation insupportable, une façon de permettre la blessure sans la mort. Pas seulement être seuls ensemble, mais accomplir un destin commun. En France, le chevalier et le paysan accomplissent des gestes d’amour, des rites que Jabotinsky interprète comme des manifestations d’une forme de jeu supérieur. Quant au juif son nationalisme est prière, tension, exigence de puissance et de royauté, Malkhout Israël disent les Sages. La primauté du politique, comme chez Boutang ou Maurras avant lui, est un recours au temporel et non une prédominance absolue, forme d’attention à l’origine.
Dans l’ontologie du secret, Pierre Boutang retient cette idée chère à la pensée juive d’une séparation dans l’être venant nous rappeler à chaque instant le retrait de Dieu, comme une sorte d’archétype de la condition première d’exil qui est la nôtre. Secret ou non-secret de la révélation, il précède notre destin de peuple élu. Je cite : « l’élection du peuple juif n’apparaît pas sur le fond d’égalité à soi des divers peuples et d’une comparaison éthique : pure grâce, elle crée ce peuple comme élu, ne lui attribue pas une qualité, mais le relie à l’être de Dieu d’une manière mystérieuse, approchable seulement par ses effets » (p. 52, Paris ,1973). Élection et errance vont de pair, tout au moins comme expérience-limite de la condition humaine, personnelle et collective à la fois ; mais il y a plus et Boutang le souligne, la présence de Dieu, errante aussi et dont le concept de Schekhina est l’expression courante des exégètes juifs. La Schekhina, présence non apparente de Dieu, marque indélébile de notre exil, ne voyage pas dans l’espace mais elle accompagne notre destin, dans l’acte d’accueil de l’autre ou dans la prière face au Mont du Temple. Le sionisme a trouvé dans le mythe du rassemblement des exilés, du retour de la Schekhina, (dont l’étymologie hébraïque vient de demeure), une force vive de la nation, pour reprendre une expression courante du langage politique. La négation de l’exil par les sionistes n’est pas une négation de son sens profond, comme dimension existentielle, mais un refus de la valorisation de l’exil, le rejet d’un « diasporisme » faisant l’éloge du juif universel, celui qui selon la formule de George Steiner connaît beaucoup de langues (mais pas celle de ses ancêtres, soit dit en passant) et fait rapidement ses valises. Le sionisme conserve l’exil en tant que marque de la souffrance, des épreuves, car celui qui retourne vers la demeure reste un peu en exil malgré lui. Une fois retrouvées l’intériorité et la tranquillité de la demeure, je ne peux me défaire d’une extériorité essentielle. Se libérer de l’exil, pour le sionisme, n’est pas la fin de nos souffrances et l’histoire est là pour nous le rappeler chaque jour, mais retrouver son cœur. Les conditions du retour en Terre d’Israël sont fixées par l’exil, bien plus que par la beauté de la nouvelle arche en train de se construire.
La nouvelle demeure n’a rien de heimlich ou de unheimlich, comme on dit en yiddisch, pour exprimer le fait qu’on s’y sente bien chez soi ou non. Herzl, dans son Journal en date du 6 Août, aura cette phrase aux accents levinassiens « Mon Testament au peuple juif : Édifiez un État dans lequel les étrangers se sentiront bien. » Que signifie être chez soi ? Séjourner, s’identifier, habiter et bâtir ? Levinas apporte un début de réponse au début de Totalité et Infini « Le chez-soi n’est pas un contenant, mais un lieu où je peux être, où, dépendant d’une réalité autre, je suis, malgré cette dépendance, ou grâce à elle, libre » (5). Levinas parle d’un revirement de l’altérité du monde en identification de soi, à travers plusieurs moments : le corps, le travail, la maison, l’économie… L’Étranger c’est celui qui vient troubler le chez soi, celui qui échappe à mon emprise. Le long séjour en exil nous a appris à fonder la maison sur le principe d’hospitalité, la demeure est à la fois accueil et recueil. Pierre Boutang relate dans Reprendre le pouvoir sa rencontre avec Levinas. Ce dernier lui apprendra qu’au revers de la monnaie battue par Israël il y a le bâton et le sac et sur la face la Tour de David. L’exil, cet autre de nous, reste en nous même lorsque nous avons un « chez-soi ». Cette cité qui est la mienne, comme l’appelle Kafka, n’est pas une assurance-vie ou un Nachtasyl (asile de nuit), elle est une autre façon d’être-au-monde pour le juif. Reprenant l’interrogation de Martin Buber, Boutang demande « Quelle habitation pour l’homme après St Augustin et après Hegel ? Que le temps lui-même devienne la demeure de l’homme… », en paraphrase je dirai qu’il n’y a pas d’idée juive du pouvoir (tout comme il n’y a pas d’idée chrétienne ) mais que le peuple juif modifie tout pouvoir par sa présence, son destin, les soupçons qui pèsent toujours sur son avenir.
Je sais que Pierre Boutang a vécu dans l’angoisse de ces menaces, qu’il n’a pas peut-être à un certain moment de sa vie été convaincu de la viabilité de l’expérience israélienne, mais après 1967 il a espéré avec nous la paix. Dans le Traité Sanhedrin du Talmud,il est dit « Et si un seul homme a été créé tout d’abord par amour de la paix, c’est afin que personne ne puisse dire à autrui : Mon père a été supérieur au tien. » Même dans la guerre nous essayons de ne pas oublier ce précepte. Mardochée continue à parcourir la ville avec un sac de cendres, signe de son appartenance et de sa dissemblance, signe aussi de la recherche infatigable d’une reconnaissance. Composante et résidu de l’histoire à la fois, le peuple juif affronte de nouvelles épreuves, au sein d’un monde hostile. La nation juive combat pour atteindre le Château, le Temple ou la petite place au soleil dont parlent Kafka dans la Lettre au Père et Pascal que je cite : « Ma place au soleil. Voilà le commencement et l’image de l’usurpation de toute la terre. » La légitimité d’Israël, son fondement premier dans la responsabilité et la justice interpellent le monde, sans aucun doute. Ni provocation, ni scandale ici, mais l’aventure d’une sainteté possible au Royaume de Jérusalem, la conviction profonde que la justice, comme l’affirme Bodin, reste la cause première et dernière du pouvoir. Le défi d’une souveraineté juive sur la Terre d’Israël, sur Jérusalem, sur les Lieux Saints anime les désirs destructeurs de ceux qui n’y voient pas la dimension messianique, apocalyptique ou tout autrement historique de cet événement. Je reste persuadé qu’à la lumière de l’enseignement de Pierre Boutang, nous pouvons Juifs et Chrétiens aller encore plus loin dans une alliance nouvelle. L’idée d’une telle arche est inscrite à mon sens dans les versets de Samuel II Chap. 7 Verset 16 : « Ta demeure et ta royauté subsisteront à jamais devant moi ; et ton trône sera affermi pour toujours ». La royauté, Malkhout est ce qui unit la demeure, qui relie les parts et assure l’intégrité, Schlemout en hébreu dont la racine Shalem est celle de Shalom, la paix. Malkhout Israël, ce que nous sommes en train de reconstruire, n’est pas seulement question de légitimité mais aussi de dépassement, de transcendance. Elle préfigure la transcendance divine mais ne s’y substitue pas.
Le sionisme, rêve moderne d’une ancienne réalité, s’est placé dans cette triple attente messianique : la liberté politique, l’exigence morale et la félicité en Terre d’Israël. à l’heure qu’il est nous devons faire taire nos impatiences, renouveler le serment de fidélité, car y renoncer serait pire que la mort. Les inquiétudes de Pierre Boutang sur la situation d’Israël au sein d’une communauté en proie à la haine et à l’humiliation m’ont sauvé par ailleurs du catastrophisme à la mode. Savoir raison garder sans sombrer dans les désarrois bienveillants du rousseauisme ambiant, voilà ce qu’il nous faut. Ne pas attendre comme Saul Bellow dans son Retour de Jérusalem, une deuxième Choa, inévitable cette fois parce que tous les juifs sont devenus sionistes et sont montés en Israël, ne pas être à nouveau le paradigme de la souffrance humaine comme elle se montra au monde à Auschwitz. Le peuple juif, après le génocide, est voué à sa fidélité aux origines, à sa tradition, à sa terre et aux capacités politiques, économiques et militaires de son existence. Devons-nous nous accuser en souffrant ? Sommes-nous à même après les horreurs subies par nos pères de ne pas oublier, comme le souligne Maurice Blanchot, ce que nous ne pouvons nous-mêmes comprendre ? Ce qui est sûr c’est que nous ne voulons pas entendre l’Occident dire à nouveau, après coup, « nous n’avons pas voulu cela ! » Nous sommes passés en retournant le titre d’un livre de Maurras, du nationalisme naturel à la politique intégrale, et je le répète intégrale pour nous veut dire entier, car le sionisme en tant que philosophie nationale nous est donné au départ, presque par nature dans les gestes et le quotidien. Poussés par le vent de l’histoire, nous voici projetés dans la politique. Le nationalisme naturel dont parle d’ailleurs un des premiers penseurs sionistes Ahad Haam est une façon de se tenir authentiquement comme juif en face de l’autre, d’accepter son regard et d’accomplir les rites dans leur simplicité. La politique intégrale nous est nécessaire tant que l’origine de nos droits s’oppose par la force à ceux d’autres prétendants.
Pierre Boutang n’aura pas vu la lumière de Jérusalem, les vestiges de la citadelle de David, le Saint Sépulcre, la Via dolorosa, mais à chaque fois que je m’y rends, je sais qu’il m’accompagne, me donne le courage de croire à ce retour, et des raisons d’y découvrir un nouvel espoir pour mes enfants et les siens. Le prophète Jérémie nous décrit au Livre III –Verset 14 à 18 ce que sera ce moment :
« Revenez, enfants rebelles, dit l’Éternel, car je veux, moi, contracter une union avec vous. Je vous prendrai un par ville, deux par famille et je vous amènerai à Sion. Je vous donnerai les prêtres selon mon cœur, qui vous conduiront avec sagesse et discernement. Alors quand vous serez devenus, à cette époque, nombreux et prospères dans le pays, déclare l’Éternel, on ne dira plus : “Arche de l’alliance du Seigneur”, la pensée n’en reviendra plus à l’esprit, on n’en rappellera plus le souvenir, ni on n’en remarquera l’absence : on n’en fera plus d’autre. En ces temps on appellera Jérusalem : “Trône de l’Éternel”. Tous les peuples s’assembleront là, à Jérusalem, en l’honneur de l’Éternel, et ils cesseront de suivre les mauvais penchants de leurs cœurs. à cette époque, la Maison de Yehuda ira se joindre à la Maison d’Israël et ensemble elles reviendront du pays du Nord au pays que j’ai donné comme héritage à vos ancêtres. »

Michaël Bar-Zvi, Les provinciales (lettre) n°62, mars 2002, repris dans M. Bar-Zvi, Israël et la France, l’alliance égarée, Les provinciales, 2014. 

 

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L’Histoire (fin et suite)

sang

L’histoire a presque toujours la couleur du sang, c’est peut-être la raison pour laquelle les hommes qui en ont le dégoût se laissèrent quelquefois entraîner par la tentation de l’abolir. En fait d’avoir pu abolir l’histoire, le marxisme au lendemain de la deuxième guerre mondiale présentait son bilan dans la presse en exhibant la photo en uniforme du « Maréchal Staline » ; Pierre Boutang remarquait alors en l’examinant : « Il y a ce fait nouveau… que des hommes et un parti ont cru à la fin de l’histoire, à l’abolition de la politique au profit d’une organisation économique qui serait le signe de la fin de l’aliénation de l’homme par la politique et la religion, et qu’il semble bien qu’à la place de cela on leur donne à nouveau une histoire. » Au même moment Alexandre Kojève considérait au contraire que la fin de l’histoire était bel et bien arrivée, « l’avant-garde de l’humanité a virtuellement atteint le terme », disait-il. Mais c’est aux États-Unis que « d’un certain point de vue », le communisme était déjà réalisé, « vu que, pratiquement, tous les membres d’une “société sans classe” peuvent s’y approprier dès maintenant tout ce que bon leur semble, sans pour autant travailler plus que leur cœur leur en dit… Les Russes et les Chinois sont des Américains encore pauvres… J’ai été porté à conclure que l’“American Way of life” était le genre de vie de la période post-historique ». Et c’est vrai que la doctrine marxiste a vraiment agi sur l’idée que l’homme se fait de lui-même infiniment plus que la Révolution Française, et même sur ses ennemis. Aussi pour mettre cet homme en garde la voix du Vatican considéra que le socialisme n’était qu’un capitalisme d’État. Mais passée l’illusion soviétique, fermée la sanglante parenthèse, ce ne sont plus les « marxistes » mais toujours les héritiers bourgeois de Hegel, qui ont continué d’annoncer d’un bout à l’autre de la dernière décade, la fin de l’histoire dans l’État universel parfait. Au lieu de cela « il semble bien » aujourd’hui qu’on nous donne à nouveau une histoire, il n’y a pas que les peuples attardés en travers de celle-ci pour s‘en apercevoir crûment, pour en éprouver la violence, mesurer l’attachement que chaque homme garde envers une terre particulière à la couleur du sang versé.

Ce retour de l’histoire, avec ses composantes religieuse et politique, n’est en rien étranger au destin d’Israël. Au contraire Israël y devient objectivement pour la première fois l’enjeu central. Avec moins de lyrisme que Nasser, plus de logique que le perdant de Bagdad, moins de raison peut-être que Yasser Arafat, Oussama Ben Laden a pris soin de rappeler qu’au principe du réveil moderne de l’islam conquérant se trouve la confrontation avec les Juifs en terre sainte. Ils y passent pour avoir introduit le poison de l’Occident. C’est ainsi, et l’élément qui donne du poids à cette accusation et pourrait seul paraître sans lien catégorique avec l’histoire juive, comme une ultime perfidie du hasard et de la géologie, c’est la puissance des flux persistants du pétrole, avec leurs réserves réparties dans le sous-sol des terres antagonistes… Mais notre monde occidental depuis le milieu du siècle passé s’est-il transformé au point d’avoir oublié l’argument antisémite qui « pourrait se formuler comme suit : dépossédé de ses biens fonciers, le juif s’efforce de créer des situations dans lesquelles le contrôle des échanges s’avère supérieur à la possession d’une terre… Israël est assuré de vouloir plonger le monde dans un nouvel exil par le biais d’une économie de circulation ». Transplanté en terre sainte l’argument a de quoi réveiller. Car pour prendre possession de cette terre, et pour faire avancer le « moteur » du sionisme, il fallait pouvoir maîtriser l’énergie d’un monde déjà lancé sur la voie des transformations brutales, c’est ce qui excita l’inquiétude des Arabes, autre peuple du mouvement, sentant cette énergie leur échapper. Confondre les expédients trouvés pour la survie d’un peuple avec le système général de dissolution des mœurs, les conduisit à voir dans le sionisme leur ennemi séculaire venu de l’ouest, comme autrefois Drumont « croyait » à la France juive.

En songeant à l’immense effort nécessaire pour inverser le sens de l’histoire, arracher les juifs à leur piège millénaire, Herzl en avait bien vu la difficulté surhumaine, indice d’une tâche providentielle. « Tout dépend de la force motrice », écrivait-il, et il pensait peu à l’argent des Rothschild : « Quelle est-elle ? La détresse des Juifs ». C’est pourquoi il n’y aurait pas de « grands efforts » à faire pour intensifier le mouvement : « Les antisémites s’en chargeront ». Tout ainsi aujourd’hui Israël n’eut pas à faire d’effort particulier pour se propulser lui-même au cœur de notre histoire, et à la barbe de ceux qui préféreraient justement se passer de lui. Il lui a « suffi » d’exister à nouveau en tant que tel, comme État des Juifs, à la place qui lui fut incontestablement désignée par l’histoire pour recueillir et supporter les traces de leur destin terrestre, puisque le sol européen en avait pour sa part décidé autrement en évacuant beaucoup de leurs rêves dans les fumées des crématoires.

À nouveau l’histoire en raison de la présence d’Israël apparaît à tous plus cruellement indéterminée. Il ne faut pas s’en affliger : « l’histoire des Juifs barre l’histoire du genre humain comme une digue barre un fleuve, pour en élever le niveau », disait Bloy (dont le cœur était bien accroché). Les défis ravivés par son passé brûlant ont été brusquement étendus à des zones géopolitiques jusqu’alors peu atteintes par notre christianisme : l’Afghanistan, le Pakistan touchent à l’Inde, à la Chine. Devant ces masses énormes, des alliances patiemment établies peuvent prendre un tour nouveau ou voler en éclats. Les esprits les meilleurs en sont déjà troublés. M. Alexandre Adler dans Le Monde imagine que la paix avec les Palestiniens vaudrait à Israël « des garanties militaires américaines absolues et définitives »… mais il ne dit pas lui non plus sur quoi fonder cette « paix », et il paraît rêver d’un « Israël militairement intégré aux Etats-Unis ». Or tous ces mots jurent trop avec la langue retrouvée du peuple à la nuque raide, et parce qu’ils épousent l’illusion de la plus grande puissance, ils se trompent de « définitif » ; alliés de cette manière toujours cela veut dire pour combien de temps ? Jusqu’à quand l’amitié avec Israël sera-t-elle jugée plus décisive que sa force déstabilisatrice ? Il a fallu vingt ans pour tirer l’Égypte des bras de l’Union soviétique où cette amitié l’avait jetée. L’Amérique renoncerait-elle à vendre des armes aux ennemis d’Israël qui lui servent et qui seuls ont les moyens de les payer ? Elle en vend à crédit à ceux qui ne les ont pas. L’optimisme du succès se tient, aveugle, à la racine du commerce, mais il perd vite son sang froid. En tant que démocratie libérale l’Amérique n’arrive qu’exceptionnellement à faire émerger le bien commun, l’intérêt national de la bataille des intérêts privés – le plus souvent elle les confond. Il est prudent de penser que l’amitié américaine pour Israël est entrée dans le temps des épreuves. Pour un empire officiellement menacé et qui doit rester représenté – et même présent – en terre d’Islam, mieux vaut soutenir des régimes « modérés », que de ruiner leurs chances en maintenant une fiction stratégique réputée cause première de la fragilité de ces régimes. Surtout quand ces régimes constituent les éléments stabilisateurs de sa politique énergétique, qui a sans doute besoin d’une tension modérée sur les marchés du brut. Tant que l’économie générale reste fondée sur la délocalisation, l’accélération des échanges, et la surconsommation américaine, l’Occident se trouve engagé au côté des exportateurs de pétrole. Or seuls les pays de l’islam gardent des réserves suffisantes (les autres épuisant au fur et à mesure leur manne énergétique) pour assurer la prégnance de cette économie. Quelle qu’ait été leur libéralité tous les empires un jour se ressaisissent. Comme si Israël pouvait, avec son « élection » qui ne passe pas, qui ne disparaît pas en même temps de la mémoire de tous, comme s’il fallait avec un empire passer le pacte de la puissance qui peut ne pas se retourner.

« Une catholicité supérieure »

C’est l’inverse qui est vrai. Les mots de mobilisation, de persécutions religieuses, ou d’eschatologie peuvent revenir au premier plan, ils ne nous effrayent pas. C’est un autre aspect généralement négligé de la mondialisation, que des pratiquants de toutes sortes se font à nouveau tuer un peu partout dans le monde, comme s’ils allaient devenir les juifs des temps futurs. On vante beaucoup en ce moment la tolérance des religions, toutes alliées pour le meilleur empire… Mais s’agit-il d’un malentendu, et cela ne dépend-il que de leur posture politique, ou ont-elles toutes réellement – et également – vocation à cette alliance ? Les fidèles peuvent-ils suivre ? Cet empire démocratique exige naturellement qu’elles le laissent travailler librement, en fait il veut qu’elles collaborent, admettent sa préséance. Il a gagné beaucoup de prestige en faisant échouer deux tentatives d’empires totalitaires, et en effet il se distingue beaucoup de ceux-ci. D’où son immense faveur. Il ressemble davantage à un empire antique aux ambitions modestes, à la manière de Rome, qui fut d’abord une république. Son parti pris musclé pour l’indifférence des cultes se rattache au plus banal polythéisme : tout est permis, sauf qu’un seul Dieu entrave le culte si florissant des autres, si pacificateur. Il ne veut rien, rien interdire sauf de n’avoir qu’un Dieu, et de prétendre qu’il règne sur tous, et qu’à Lui toute nation doive se soumettre, qu’il supplante toute autre divinité. C’est ainsi que l’empire attend des religions qu’elles obéissent franchement aux lois inscrites pour tous, et qu’elles oublient secrètement toutes les autres, invisibles ; qu’elles y pensent si elles veulent, dans leur for intérieur, mais quelles n’y croient pas plus, pas au point de s’empêcher de vivre, et de fragiliser l’« alliance », pas jusqu’à prendre le risque de rendre contre lui un témoignage public. L’empire refuse qu’on dise avec Antigone : « Je ne croyais pas à tes proclamations assez de force pour prévaloir sur les lois non écrites, infaillibles ». Or en quoi consistent ces lois infaillibles, sinon à respecter la loi secrète du sacrifice sans laquelle toute société se décompose ? La faculté de mettre en jeu, selon les occasions, ce que l’on a de plus précieux pour affermir l’offrande du cœur ? Une société devenue étrangère à l’idée même de renoncement forcément a perdu la mémoire de ces lois, car leur règne invisible ne se propage à travers nous que par ces sortes de cérémonials oubliés. Cela relève d’une autre alliance, en effet, que l’empire décourage sinon désavoue, l’alliance du cœur et de la main, l’alliance du sang avec l’esprit. « Qui n’est pas avec nous est contre nous », a martelé George W. Bush pour enrôler tout le monde dans la sienne. Ainsi la question politique se trouve à nouveau explicitement posée à toutes les religions. « The Lord » auquel souvent il se réfère, jamais n’avait dit cela, mais : « Qui n’est pas avec moi est contre moi », parce qu’il savait que pour mourir comme homme il serait seul – et : « Qui n’est pas contre nous est avec nous ». C’est la source de la vraie tolérance, qui procède historiquement de l’Église du roi des Juifs et non de la République : trente-trois ans avant Pilate, des mages venus d’Orient employaient les premiers envers lui cette expression, honorant cette Église, par laquelle seule nous pouvons dire : « En ces jours-là dix hommes de toutes les langues que parlent les nations s’accrocheront à un Juif par le pan de son vêtement en déclarant : Nous voulons aller avec vous, car nous l’avons appris : Dieu est avec vous. » Oui nous l’avons appris. D’abord parce que nous ne le savions pas ; ensuite parce que demeurés comme suspendus à la langue et à la manière historique de Pascal, de Péguy, et de Boutang, à leur sens théologico-polémique, nous n’avons pas manqué au moins d’apercevoir des filiations intimes parmi les catholiques français : il y a une transmission du souci d’Israël, qui à partir de Léon Bloy (Le salut par les Juifs) et Péguy, passe par Jacques Maritain (Le mystère d’Israël), et après que Jules Isaac ait fait son œuvre salutaire au Vatican, atteint (ou rejoint) Jean-Paul II par le biais du cardinal Journet (Destinées d’Israël) et de son disciple le père Cottier (théologien du Pape) ; cette tradition reconnaît avec son discours à Mayence, du 17 novembre 1980 : « l’ancienne alliance, qui n’a jamais été révoquée ».

Voilà ce point d’aboutissement qui est en fait notre point de départ : l’affirmation longtemps obscurcie par le fond d’antisémitisme chrétien, selon laquelle l’Alliance nouvelle, ce n’est que par le sang et le sang historiquement juif du Christ consommé sur l’autel, que nous autres des nations, non-juifs natifs, avons la possibilité d’être associés à l’histoire sainte d’Israël et de prendre notre part d’élection, tandis que dure la réticence des juifs à s’asseoir – ou leur inconscience d’être – à cette table.

Ce n’est pas en emboîtant le pas des nations sous n’importe quelle condition, que l’on peut fonder une alliance durable contre ce qui ruine en profondeur les chances de l’homme. Il y a une confusion d’essence révolutionnaire, qui a pu prendre prétexte des persécutions religieuses ayant accompagné le développement du dogme pour se débarrasser de la présence réelle. Cette confusion rend possible le « terrorisme », parce qu’une trahison implicite la sous-tend, la trahison de ces lois invisibles qui en comportant toujours l’idée de sacrifice, donnèrent leur sens à l’idée même de civilisation : voilà la faiblesse de l’empire, que le terrorisme a visée. Qui ne voit qu’un islam révolté a renoué exprès avec le rite de verser le sang humain sacrificiel, pour démontrer l’inanité d’une société incapable de se fonder sur ces lois et donc de constituer une communauté véritable, transmettant au plus haut point possible le respect de ce qui a existé ? Le onze septembre aurait dû sonner le glas d’un monde artificiellement unifié par les échanges d’argent. Cette politique qui s’est substituée aux emprises et aux remparts des vieilles nations d’Europe, s’est prétendue libératrice. Mais le sang humain n’a pas fini de couler, toujours et de toute part le pauvre se trouve manipulé, aussi la démonstration d’Al-Quaïda est-elle sans valeur. Le réveil est brutal, mais on a vu qu’en ayant fait du mal à l’Amérique il peut lui avoir fait aussi du bien, si elle restaure dans l’épreuve le sens de cette communauté véritable, et celui de l’héroïsme ordinaire. Pourvu que le cœur batte pour l’homme sous les décombres, non pour ses créanciers, car d’une société qui « n’a que des banques pour cathédrales », il n’y a pour ainsi dire plus rien à conserver, rien à transmettre. « Cet islam, que nous n’avons pas su réconcilier » s’en prend au symbole même, en cela il ne s‘est pas trompé – et il s’en prend avec un rituel sauvage, bien sûr, il nous tend un miroir grossissant – au symbole de cet « esprit d’abstraction, proche de celui de la cruauté », qui est celui des mauvais princes – n’importe s’ils sont d’orient ou d’occident –, capable d’ériger de très hautes constructions de chiffres et de verre, un peu partout dans le monde, des univers d’acier, pour y abriter loin, très loin du sol que nous foulions, nos écritures bancaires. Il faut s’en libérer. Ces écritures ne portent que la mémoire des dettes des pauvres au cœur d’une société bien décidée à ne jamais les alléger ; elles dissimulent la cruauté de l’usure ; l’avenir qu’elles oblitèrent ne leur appartient pas, et elles le négocient ; elles le détournent de ceux qui en ont le besoin car l’usure ne prête jamais aux pauvres ; or sur elle l’Occident a établi toute industrie, il lui a subjugué les instruments d’un monde désormais presque entièrement dévolu au service de l’argent, et qui ne sait enseigner que des automatismes lointains, de sorte que bien peu savent maintenant faire le geste de puiser de l’eau soi-même pour en donner à boire à ceux qui avaient soif, qui avaient soif seulement d’un peu d’humanité. Ceux qui ne voient que ce malheur immense, et ceux qui le voient de trop haut sont condamnés à se brûler les ailes ou la cervelle, pour rejoindre cette douleur comme des fous par le biais du sacrifice total et aveugle de soi, à moins qu’ils ne se contentent de brûler de zèle en vue d’une élection honnie par la plupart. « Je hais les juifs parce qu’ils possèdent la loi et la profanent », disaient bien avant Mahomet ces chrétiens qui possédaient pourtant la grâce du Verbe et semblaient ainsi la profaner, parce que les Juifs étaient devenus l’objet de leur dégoût. « Dieu a choisi mon frère pour bourreau », a écrit Zeev Jabotinsky. Aujourd’hui ceux qui n’ont jamais connu réellement ni l’une ni l’autre de ces deux traditions meurtries, prétendent s’en prendre à chacune d’elles avec une fureur révolutionnaire, comme si les injustices des hommes avaient enfin réussi à abolir le don de Dieu. Mais elles ne font qu’obscurcir ses desseins, et ils se trompent, aucune alliance n’a été révoquée, nous le savons, les révolutions ne servent de rien quand elles rendent immédiatement plus misérable que ceux qu’elles prétendaient voir remplacer. Seules importent celles qui s’opèrent au dedans de nous, les pacifiques.

La gloire se trouve à la portée du cœur de pauvre dont parlent les Béatitudes. C’est dur ; mais voilà qui seul affranchit sans doute de tout « antisémitisme ». Un peuple a été à nouveau proposé à la vindicte universelle, Israël. Nous lui donnons notre foi, voilà tout. Il n’y a pas de jalousie à avoir vis à vis de la race d’Abraham, sinon le zèle pour obtenir que la grâce de l’esprit comble la faille de la naissance, produise en nous ses œuvres bonnes. Cette gloire ne s’oppose pas, pas plus que la circoncision, à « cette espérance déliée du rituel, sans efficience, ici et maintenant », dont parle Michaël Bar-Zvi, et qui est comme « l’épreuve d’Israël » : son fond en est précisément le sacrifice, il me semble, le sacrifice non sanglant de réconciliation du cœur, fait de la renonciation paisible au maintenant du temps. Le chrétien l’assume en consommant l’hostie, laquelle fonde ainsi (mais en espérance seulement) le maintenant éternel ; le juif dans l’attente du Shabbat, est-ce donc si différent ? « R. Isaac a dit : Maintenant, nous n’avons plus ni prophète, ni prêtre, ni sacrifice, ni temple, ni autel. Qui donc expiera pour nous malgré la destruction du Temple ? Il ne reste plus en nos mains que la prière ». Il se peut que face à la brutalité et à la force de contradiction des événements futurs, ce soit la persistance de cette alliance nourrie du sang de l’autel avec la lignée d’Abraham qui fonde objectivement quelque nouvelle épreuve commune aux Juifs et à ce qu’il resterait de chrétiens, après l’échec historique de l’extermination. Sa mise en œuvre ne reposerait plus alors que sur le dogme de la présence réelle, la croyance de l’Église que le sacrement de l’autel l’aurait inlassablement et réellement incorporée au peuple élevé par Dieu : « Quand Jésus, en présentant la coupe, dit aux disciples : “Ceci est mon sang (le sang) de l’Alliance”, les paroles du Sinaï, écrit le cardinal Joseph Ratzinger, se trouvent intensifiées jusqu’à un réalisme inouï, et, en même temps, s’ouvre une profondeur jusque-là inconnue. Ce qui a lieu ici, c’est à la fois une spiritualisation et un suprême réalisme. Car la communion sacramentelle du sang, qui devient maintenant une possibilité, relie les bénéficiaires à l’homme Jésus en chair en en os, et à la fois à son mystère divin, pour former une communion suprêmement concrète, qui atteint jusqu’à la sphère corporelle. » (L’unique alliance de Dieu, 1999.) Cette sphère corporelle concrète, si facile à atteindre lorsqu’il s’agit de la blesser, c’est d’abord celle de l’alliance conjugale, qui donne la naissance en tant que premier événement du sang : « la naissance du Christ lui-même, dans une nation très particulière », et « la fidélité du Christ à cette naissance, fidélité douloureuse jusqu’à la fin… » sans laquelle il n’y aurait pas de mystère de l’Incarnation, pas d’Alliance, pas d’Église, pas de Salut, « l’humanité du Christ en étant inséparable, et n’en ayant pas été séparée ». Oui comme disait Bloy : « Le sang versé sur la croix pour la rédemption est naturellement et surnaturellement du sang juif ». Et cela grâce à l’innocence eschatologique d’une jeune fille juive par laquelle fut nouée l’alliance définitive, l’alliance du sang et de l’esprit, l’alliance non pas seulement de Dieu avec l’homme en général, l’homme en tant que tel, mais avec l’homme en tant que celui-ci, par exemple l’homme fondant la lignée d’Israël, Abraham, « en lui seront bénies toutes les nations de la terre » (Genèse xviii, 18-19).

L’antisémitisme des nations chrétiennes est l’erreur historique. Elle aura consisté à voir dans cette possibilité pour les nations d’entrer dans l’élection d’Israël à travers le mystère même de son refus, non une bénédiction mais un tourment inutilement infligé par les Juifs au corps divin du Christ. Mais il n’y a plus de chrétienté. Dans sa Philosophie de l’antisémitisme, Michaël Bar-Zvi décrit ainsi la divergence – mais n’est ce-pas plutôt une convergence ? – des deux positions juive et chrétienne après la destruction du Temple de Jérusalem et l’arrêt historique des sacrifices sanglants qui y étaient pratiqués : « La transfiguration du sacrifice par la consommation de l’hostie reproduit l’événement du sang et se substitue à l’acte violent. Les juifs maintiennent la circoncision comme l’unique événement du sang et rejettent les substituts ». C’est avec raison qu’il faut parler de substitution, mais on aurait tort de ne voir là qu’une clause d’opposition irréductible, expliquant une bonne part des persécutions médiévales contre ceux qui restaient à l’écart du nouvel autel. Car une fois acquise l’interruption des sacrifices sanglants, qui oserait proposer d’y revenir ? « L’autel des parfums était destiné à entretenir constamment dans le tabernacle un nuage d’agréable odeur, tant à cause de la vénération due au lieu que pour combattre une puanteur rendue inévitable par le sang versé et les bêtes immolées », crie saint Thomas d’Aquin, qui peine à expliquer certains préceptes cérémoniels de l’ancienne loi. « Ce sont des animaux vivants et non pas des animaux abattus qu’il eût fallu offrir à Dieu ». On songe à François d’Assise ou à La Fontaine, mais il faut surtout penser au psaume L : « Assemblez devant moi mes fidèles, eux qui scellent d’un sacrifice mon alliance… » Mais « Je ne prendrai pas un seul taureau de ton domaine, pas un bélier de tes enclos… Offre à Dieu le sacrifice d’action de grâce… Invoque-moi au jour de détresse : je te délivrerai, et tu me rendras gloire ». Il y a là la matière d’une double fidélité au sacrifice de l’ancienne Alliance, dans une continuité chaque fois douloureusement incomplète et donc radicalement blessée, car ne lui répond que le silencieux appel de Dieu dans l’indétermination bouleversante de l’histoire : « Dieu a enfermé toutes les nations dans la désobéissance, pour faire à toutes miséricorde », dit saint Paul – et Pascal : « J’ai versé telle goutte de sang pour toi ». Les Juifs gardent la circoncision comme offrande faite à la naissance du petit d’homme déjà meurtri dans sa chair du signe définitif venu d’en-haut. Les chrétiens se configurent progressivement à la race d’Abraham par la consommation de l’hostie, nourriture sanctifiante qui fait descendre dans les entrailles la grâce du Circoncis : « Ceci est mon corps, prenez et mangez en tous ».

La politique

Œuvrer avec l’aide du Pape en vue de la conversion en masse du peuple juif, pour le sauver de nouvelles persécutions, fut la première idée de Théodore Herzl… elle s’est un peu éloignée de nous, et il a eu raison de s’attacher à son idée définitive, L’État des Juifs. Qu’est-ce que le sionisme sinon la réponse politique au défi universel philosophico-théologique de l’antisémitisme ? Or cette réponse n’est nullement méprisable : « Qui peut lire le Château de Kafka (où le destin d’un homme est figuré dans la seule volonté d’être reconnu, admis, dans une ville qui n’est pas la sienne), voir toutes les fonctions, tous les actes quotidiens se pénétrer d’un intenable mystère, et ne pas chercher à guérir cette angoisse au niveau même de la réalité qu‘elle a choisie pour s’exprimer ? » écrivait Pierre Boutang pour définir où s’enracinait le souci politique en juillet 1947 (un an avant la création de l’État d’Israël). Oui au niveau de cette réalité c’est-à-dire celle des échanges quotidiens que chacun doit avoir avec les hommes de la cité où il se trouve, pourvu qu’elle soit un peu la sienne. C’est cela la politique, la politique considérée comme souci, et c’est justement par la force de cette politique que l’homme, chrétien ou non, ne sera pas oublieux des particularités concrètes de la vie, et de la réalité divine de la création, et qu’il pourra considérer les figures du salut proposées à travers les diversités religieuses et humaines d’une nation.

La reconnaissance de l’alliance « suprême réalisme », comme dit Ratzinger, n’autorise aucune fuite dans une « mystique », dans une spiritualité affranchie ou oublieuse des exigences de la vie, mais la concentration attentive de cette spiritualité dans le souci des déterminations concrètes de l’homme, la manière ici-bas de le sauver, chair et esprit, la prise en compte de l’incarnation avec ou sans majuscule, cet homme de la cité avec ces amitiés qui le guérissent de son angoisse – ou qui ne le guérissent pas toujours mais qui transforment cette angoisse ou cette détresse en force – ou en faiblesse – motrice, et qui produisent une espérance modeste mais bien ancrée dans la réalité. Souvenez- vous de la frayeur des villageoises devant le type de mort dans les massacres nocturnes en Algérie, la gorge coupée, qui pour nous rappelle encore Kafka, la mort de K. dans Le Procès : « comme un chien », c’est-à-dire refusant cette part d’échange et de lutte et repoussant cette exigence de sens que revêt normalement la mort d’un homme. Mais que dire de la terreur spéciale du spectateur visé, sinon qu’elle peut être tout aussi possessive, puisque de la même manière c’est surtout l’absence de prise sur les événements qui la caractérise – il ne lui échappe pas : l’homme « à son poste » ne peut donner de réponse, sa réponse, parce qu’il est trop loin de ceux qui souffrent et de ces autres qui les menacent, et qu’aucun lien concret ne s’offre à sa portée. La politique se mondialise, dit-on, inexorablement, elle s’éloigne, or « nous pressentons que nos modernes acteurs de l’histoire, n’ont guère l’impression, quand ils ne donnent pas la comédie, d’être absolument distincts des spectateurs ; nous le pressentons et le redoutons, parce que si vraiment personne ne pouvait être dit acteur, s’il n’y avait plus de responsables, nous nous trouverions tous, nous qui devons jouer le rôle de spectateurs, dans une horrible déréliction, et, face à l’absurde, spectateurs du néant » (Boutang, 1947). Spectateurs du néant. Emmanuel Levinas dans ses lectures talmudiques des années soixante-dix, rappelait l’antiquité de cette déréliction : « Au-dehors, l’épée fera des victimes, au-dedans ce sera la terreur »… « Car la mort est montée par nos fenêtres19 »… Quand ces fenêtres sont si nombreuses, il ne peut être question de les fermer. Lorsqu’elles sont si hautes, ce sont celles des bâtiments publics. C’est la guerre, voilà tout ! « Tous les hommes sont au bord de la situation de l’État d’Israël. L’État d’Israël est une catégorie. » Mais la nouvelle n’est un peu neuve qu’en ce qui concerne les politiques oublieuses de l’ordre du foyer, quand la nation n’est plus regardée et défendue comme sa propre famille par ceux qui en sont « responsables ». Car pour la maison et ceux qui y habitent, ou qui y passent, la mort est l’hôte dont le couvert est toujours sur la table. C’est toute la vie de la famille que de pouvoir l’apprendre à chaque instant, ou de le savoir en toute rigueur, et aussi de le vérifier de temps à autre lorsqu’elle frappe sans cause l’un de ses membres. Qui peut la tenir à distance ? Il faut l’apprivoiser, ce sont les gestes de tendresse et de piété, tout un rituel domestique qui s’en chargent auprès des familliers. La réponse du sionisme politique est la réponse du politique. L’angoisse ou la terreur redeviennent crainte ou souci, souci des choses particulières que le silence, l’absence de Dieu ont confiées intégralement à notre prévenance. Ce n’est pas au cas où Israël serait un modèle de vertu que l’on pourrait s’en approcher, et ce n’est pas parce qu’il est imparfait qu’il faudrait s’en détourner. Ce sont les lois du sang et de la terre. Mais c’est parce qu’il est un fait accompli, c’est parce qu’il demeure dans la chair d’Abraham, c’est parce qu’il existe qu’il faut s’y accrocher comme à un pan du vêtement de Dieu, le sauver comme un objet précieux : précieux parce qu’il est ordinaire et qu’il nous appartient. S’il tombe, ou s’il se range lui aussi sous la houlette du fort, pourrait-on croire qu’une Palestine, ou qu’une paix en Europe puissent longtemps exister ? Ne sommes nous pas du même sang ? Mais c’est le sang d’Adam ! La terre est rouge du sang de la naissance et de la mort, et le mot hébreux qui veut dire « homme » (adam), puis « terre » (adamah) – mais peut-être d’abord « sang » (dam) – n’est un mot étranger à l’histoire d’aucun peuple : mais c’est le fondement de la politique, cela consiste à prendre en considération la « vocation de l’homme pour le particulier » (Boutang). De cette vraie politique ne peut-on dire comme de la Torah, qu’elle « commence et finit par des actes de charité, puisqu’il est écrit au début : l’Eternel Dieu fit à Adam et à sa femme des tuniques de peau et les en vêtit ; et il est écrit à la fin : Il l’enterra dans la vallée ». Et au contraire de cela, « c’est lorsque l’horreur atteint à sa plus grande amplitude, lorsque tout ce qui était sacré (tout ce que le patient tissage de l’histoire et de la tradition avait fait reconnaître comme sacré) s’évanouit, que la conscience religieuse ou son résidu laïcisé s’efforce de constituer une barrière contre l’horreur par la reconnaissance, au moins, des valeurs morales universelles ; on peut même dire que ceux qui, avant le déchaînement horrible, avant les camps de la mort méthodique ou le bombardement massif des populations civiles, prétendent faire de la conformité aux valeurs universelles le contenu de l’histoire, ceux-là ont déjà secrètement pris le parti de l’horreur ; ils ont renoncé à ces valeurs subtiles, à cette tendresse des coutumes et des rites, à ces amitiés par lesquelles un vieux peuple civilisé sait accueillir et dompter la brutalité de l’avenir ; ils sont les complices du désastre qu’ils redoutent et laissant l’imagination historique à l’horreur, ils laissent du même coup l’horreur forger le contenu de leur destin. » Pierre Boutang, La Politique, la politique considérée comme souci,1947.

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Jacques de Guillebon (La Nef) : «Reprendre le pouvoir»

«Il n’y a pas d’idée chrétienne du pouvoir, mais une modification de tout pouvoir par le christ», assurait Pierre Boutang dans son Reprendre le pouvoir (1) que les éditions Les provinciales viennent«Il n’y a pas d’idée chrétienne du pouvoir, mais une modification de tout pouvoir par le christ», assurait Pierre Boutang dans son Reprendre le pouvoir (1) que les éditions Les provinciales viennent (…)

«Il n’y a pas d’idée chrétienne du pouvoir, mais une modification de tout pouvoir par le christ», assurait Pierre Boutang dans son Reprendre le pouvoir (1) que les éditions Les provinciales viennent«Il n’y a pas d’idée chrétienne du pouvoir, mais une modification de tout pouvoir par le christ», assurait Pierre Boutang dans son Reprendre le pouvoir (1) que les éditions Les provinciales viennent (…)

«Il n’y a pas d’idée chrétienne du pouvoir, mais une modification de tout pouvoir par le christ», assurait Pierre Boutang dans son Reprendre le pouvoir (1) que les éditions Les provinciales viennent«Il n’y a pas d’idée chrétienne du pouvoir, mais une modification de tout pouvoir par le christ», assurait Pierre Boutang dans son Reprendre le pouvoir (1) que les éditions Les provinciales viennent (…)

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Sébastien Lapaque : « Le siècle de Boutang » (Le Figaro)

Philosophe, romancier, poète, théoricien et journaliste politique, Pierre Boutang aurait eu cent ans le 20 septembre 2016. « Ceux qui l’ont lu, a fortio ri ceux qui l’ont connu, ne peuvent se (…) Philosophe, romancier, poète, théoricien et journaliste politique, Pierre Boutang aurait eu cent ans le 20 septembre 2016. « Ceux qui l’ont lu, a fortio ri ceux qui l’ont connu, ne peuvent se (…)

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Sébastien Lapaque : « Le siècle de Boutang » (Le Figaro)

Philosophe, romancier, poète, théoricien et journaliste politique, Pierre Boutang aurait eu cent ans le 20 septembre 2016. « Ceux qui l’ont lu, a fortio ri ceux qui l’ont connu, ne peuvent se (…)Philosophe, romancier, poète, théoricien et journaliste politique, Pierre Boutang aurait eu cent ans le 20 septembre 2016. « Ceux qui l’ont lu, a fortio ri ceux qui l’ont connu, ne peuvent se (…)Philosophe, romancier, poète, théoricien et journaliste politique, Pierre Boutang aurait eu cent ans le 20 septembre 2016. « Ceux qui l’ont lu, a fortio ri ceux qui l’ont connu, ne peuvent se (…)Philosophe, romancier, poète, théoricien et journaliste politique, Pierre Boutang aurait eu cent ans le 20 septembre 2016. « Ceux qui l’ont lu, a fortio ri ceux qui l’ont connu, ne peuvent se (…)

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Jacques de Guillebon (La Nef) : «Reprendre le pouvoir»

«Il n’y a pas d’idée chrétienne du pouvoir, mais une modification de tout pouvoir par le christ», assurait Pierre Boutang dans son Reprendre le pouvoir (1) que les éditions Les provinciales viennent. «Il n’y a pas d’idée chrétienne du pouvoir, mais une modification de tout pouvoir par le christ», assurait Pierre Boutang dans son Reprendre le pouvoir (1) que les éditions Les provinciales viennent.

 

«Il n’y a pas d’idée chrétienne du pouvoir, mais une modification de tout pouvoir par le christ», assurait Pierre Boutang dans son Reprendre le pouvoir (1) que les éditions Les provinciales viennent.

«Il n’y a pas d’idée chrétienne du pouvoir, mais une modification de tout pouvoir par le christ», assurait Pierre Boutang dans son Reprendre le pouvoir (1) que les éditions Les provinciales viennent.

«Il n’y a pas d’idée chrétienne du pouvoir, mais une modification de tout pouvoir par le christ», assurait Pierre Boutang dans son Reprendre le pouvoir (1) que les éditions Les provinciales viennent.

«Il n’y a pas d’idée chrétienne du pouvoir, mais une modification de tout pouvoir par le christ», assurait Pierre Boutang dans son Reprendre le pouvoir (1) que les éditions Les provinciales viennent.