Bat Ye’or

« L’Étoile jaune »

Mes travaux sur Eurabia, la divulgation des faits et des noms renforcèrent la vindicte à mon égard. Je ne tardai pas à en remarquer les effets. Des livres, des articles exploitaient mon travail et omettaient mon nom – un nom dangereux, proscrit par la police de la pensée. Les intellectuels agréés se tenaient à distance, je contaminais.
Certains regards m’observaient avec une sorte d’effroi. Je portais désormais la souillure de l’opprobre. Je n’étais pas la seule d’ailleurs, tous ceux qui professaient des opinions contraires à la doxa imposée étaient voués à la détestation. Je ne réagis pas à ces attaques. J’étais ailleurs… beaucoup plus loin, hors des événements. J’observais avec une certaine distance mon nouveau statut de paria, évocateur des signes discriminatoires avilissant ce personnage que je connaissais bien, le dhimmi : ces vêtements, ces couleurs, ces ceintures exposant la souillure. Je portais l’étoile jaune de mes livres.
Et soudain je me sentis fière. Fière d’appartenir à ce peuple d’esclaves qui le premier s’était dressé contre la tyrannie au nom de la liberté et de la dignité de l’homme. Mon œuvre avait été maudite parce qu’elle prenait sa place dans trois mille ans d’histoire du peuple à la nuque raide.
Il déployait derrière moi sa force et sa richesse, mais l’Europe s’effondrait, retournait à la barbarie, tolérant les tueries d’innocents dans ses rues, comme si la vie humaine à nouveau n’avait aucune valeur, comme si n’importe qui pouvait s’octroyer le droit de tuer. L’appel au meurtre remplaçait  « Tu ne tueras point  ».

C’est dans les années soixante-dix, pourtant, que j’avais découvert cet énigmatique personnage surgi des linceuls de l’histoire, le dhimmi. À mesure que s’éclairaient ses diverses facettes, comme par l’effet d’une lampe magique, s’étaient éveillées contre moi des attaques et des condamnations exprimées jusqu’en 2010, quand le gouvernement de l’État Islamique, fort opportunément venant à mon secours par le rétablissement de la charia, confirma tous mes écrits.

Bat Ye’or, Autobiographie politique.
Les provinciales, 2018.

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Bat Ye’or, « fille du Nil », « une Cassandre, un esprit courageux et clairvoyant », a consacré sa vie à étudier et à comprendre la condition des Juifs et des chrétiens sous l’Islam, après avoir été expulsée d’Égypte par Nasser en 1957. Ses livres ont été publiés en anglais, allemand, espagnol, français, hébreu, italien, néerlandais, russe… Elle fut auditionnée par le Congrès américain, et participa à de nombreux colloques internationaux en Europe et en Amérique, où elle a fait connaître les mots « dhimmi », «  dhimmitude  » et  « Eurabia ». En racontant l’histoire de sa vie, elle éclaire celle de notre civilisation aux prises avec le refus de savoir, les défis de l’obscurantisme et la lâcheté.

Du même auteur :

L’Europe et le spectre du califat.
Le Dhimmi. Profil de l’opprimé en Orient et en Afrique du nord depuis la conquête arabe
 Autobiographie politique. De la découverte du dhimmi à Eurabia.

3 réflexions au sujet de « Bat Ye’or »

    1. Je vous remercie. OV

  1. […] son « Autobiographie politique. De la découverte du dhimmi à Eurabia » publiée par Les Provinciales (2017), Bat Ye’or, née dans une […]

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