Passer une heure (ou plutôt deux) avec Sébastien Lapaque, dans un café versaillais à deux pas du bassin de Neptune, c’est s’aventurer en littérature. Le décollage est immédiat, aux côtés de saint Thomas d’Aquin, de Chesterton, de Borges, et avec, au poste de pilotage, Georges Bernanos lui-même. Ce dernier est le fil d’Ariane dans le labyrinthe de sa pensée qu’il déroule d’une voix un peu éraillée, dans l’enchevêtrement sans fin – comme en ses livres – de réflexions, références, parenthèses passionnantes.
La première rencontre que le futur critique littéraire fit avec l’auteur de La Liberté, pour quoi faire ? eut lieu durant sa « jeunesse frondeuse, batailleuse ». Alors au Lycée Hoche à Versailles, il dévore les livres sans modération, et parmi eux, ceux de Maurras et, déjà, de Bernanos. Le premier le retient au point qu’il fut le secrétaire général de l’Action française lycéenne. Mais l’entreprise est trop étroite pour lui. Le voici exclu du mouvement – il avait déjà été viré du lycée militaire de Saint-Cyr pour indiscipline. « À Maurras, il aura manqué des racines spirituelles et un horizon historique assez profonds pour lui faire envisager la vocation de la France dans ses heurs et malheurs, au hasard et souvent, autrement et encore. Ce n’est pas Mauriac qui m’a éclairé là-dessus. C’est Bernanos. »
Ce dernier ne le quittera plus. Il lui consacre, à 27 ans, son premier essai, Georges Bernanos encore une fois. Quatre ans plus tard, il part au Brésil – dont il tombe follement amoureux – sur les traces de l’exilé volontaire, et en tire un essai, Sous le soleil de l’exil.
Journaliste, romancier, essayiste, Sébastien Lapaque écrit dans le Figaro Littéraire, « son » journal depuis 1997. À droite, donc. Mais aussi à gauche, dans Marianne, Témoignage Chrétien. Difficile de s’y retrouver. « Je me suis souvent demandé,raconte-t-il en sifflant son café et le regard perdu sur l’avenue, pourquoi Bernanos était aussi instable, pourquoi il écrivait dans tous les journaux. Je l’ai appris à mes dépens. Si l’on veut écrire librement, c’est indispensable. »
Intellectuel inclassable, il revendique aussi Mauriac et Camus comme modèles ; ils avaient eux aussi le souci de la forme, écrivaient des romans, et en même temps « faisaient valoir les droits de leur conscience ». Pour ces deux-là, comme pour Bernanos, le déclic fut la guerre d’Espagne. Et pour Bernanos, « la compromission des bourgeois et de l’Église avec le fascisme ». « Ma guerre d’Espagne à moi, c’est le néo-libéralisme. J’ai vu une bourgeoisie censée imprégnée de la doctrine sociale de l’Église s’y rallier en se réclamant du Christ. Ceux-là rapportent le christianisme à un code de bonne conduite. Ils vénèrent le marché tout en maudissant le monde auquel il donne naissance. »
En 2008, Lapaque signe un pamphlet contre Sarkozy, Il faut qu’il parte, où il taille en pièces une « droite révolutionnaire » qui porte atteinte aux plus pauvres. Et dans la foulée, il écrit Le Sermon de saint François d’Assise aux oiseaux et aux fusées.
Bagarreur, il l’est encore dans son dernier ouvrage, Sermon de saint Thomas d’Aquin aux enfants et aux robots (« J’aime les titres longs, ce n’est pas la mode, mais c’est joli »), qu’il écrit sur la suggestion d’un ami prêtre. Il met en scène le dominicain médiéval sur l’un de nos plateaux télé d’aujourd’hui avec leurs éternels invités, croqués comme des caricatures de Daumier. Le ton libre marie une verve cocasse à la pensée lumineuse du « docteur angélique » , une veine baroque (« J’aime les sermons baroques ») à une veine classique (« J’aime par-dessus tout les Sermons de Bossuet »). L’ensemble ressemble assez à notre écrivain au style exubérant mais à la composition solidement architecturée. Au point que les livres qu’il lui reste à écrire sont déjà là, prêts à sortir tout armés de sa tête. Il peut même en donner les titres et l’ordre de parution.
Saint Thomas n’était pas pour lui un inconnu. Il l’avait découvert adolescent, et retenu que le plaisir amoureux était plus grand au Paradis terrestre, à cause d’une perfection plus grande du corps. Que le corps soit le bon compagnon de l’âme, qu’ils cheminent ensemble inextricablement séparés, voilà qui lui semble formidable. (…)
Engagé comme Bernanos contre les « robots », et comme lui hanté par une vision tragique de l’Histoire et de la foi, Lapaque semble ici bien loin de saint Thomas, lequel, dans la grande clarté optimiste et rationnelle de sa pensée, dans « le XIIIe siècle des ogives, des cathédrales et des vitraux », croyait que l’homme « pouvait tout maîtriser de ses inventions techniques ». Lapaque, lui, se retrouve plutôt dans le frisson angoissé de Pascal devant les espaces infinis, dans les tourments des personnages de Dostoïevski, ou encore les analyses glaçantes de Ellul sur l’emprise de la technique. Sa parenté néanmoins avec saint Thomas, il la doit à « sa joie, sa rondeur, son optimisme dans la foi », qui sont aujourd’hui « le vrai scandale dans un monde scientiste qui ne croit pas en la raison ».
Car bien que torturée, l’œuvre de Sébastien Lapaque conserve un air d’enfance, une petite musique joyeuse et folle. Son sermon, d’ailleurs, il l’écrit aux enfants, « ceux qui sont capables de comprendre ». Sa verve pamphlétaire s’adoucit d’une naïveté joyeuse. (…)
Pauline Quillon, Famille chrétienne.
• Sébastien Lapaque, Georges Bernanos encore une fois et autres textes précédés de « La France contre les robots ou le sermon aux imbéciles», Les provinciales, 180 pages, 18 €.
– Sermon de saint Thomas d’Aquin aux enfants et aux robots, Stock, 140 pages, 15,50 €..