« Israël demeure pour moi le pays d’en face, et Beaufort la citadelle intérieure d’où je le contemple ».
Les éditions Les provinciales viennent de publier un petit essai, le septième de leur collection « Israël et la France », de Richard Millet, l’ancien directeur littéraire de Gallimard, découvreur d’écrivains talentueux, qui démissionna en 2012 du comité de lecture qu’il dirigeait, en raison d’un essai publié sur l’affaire Breivik en Norvège, dans lequel il dénonçait le meurtre sanglant de sang-froid, mais aussi le multiculturalisme conquérant en Europe. Homme de lettres avant tout, Richard Millet revendique sans détour ses origines limousines, son catholicisme fervent (malgré le protestantisme de son père), ses années d’enfance au Liban, et son engagement dans les forces chrétiennes phalangistes pendant la guerre civile. Victime comme d’autres du terrorisme de la bien-pensance et de la lâcheté des médias, celui qui apporta à Gallimard plusieurs Prix Goncourt, avec Jonathan Littel ou Alexis Jenni, se retrouve aujourd’hui dans les rangs des bannis de la parole officielle.
Pour la première fois, R. Millet évoque sa relation à Israël et au judaïsme, même si ceux qui connaissent mieux son parcours savent qu’il en est proche par les sources. C’est aussi à lui que nous devons la diffusion du journal d’Ana Novak à Auschwitz ou le carnet lyrique de Charlotte Salomon. Nombre de ses livres ont pour toile de fond la Corrèze, près du plateau de Millevaches et racontent l’agonie de la campagne française, les deuils et les silences après les guerres qui ont décimé la classe paysanne. Ma vie parmi les ombres, La gloire des Pythre, L’amour des trois sœurs Piale, ou encore Le goût des femmes laides sont des chefs-d’œuvre de la littérature française contemporaine. L’autre thème de prédilection de Millet est la langue française, dans sa pureté et sa perfection. « Un pays dont la langue est mal parlée, ma écrite, mal promulguée, négligée ou méprisées par ses propres locuteurs, n’est plus tout à fait une nation… ». Ses pamphlets contre l’hypocrisie des milieux littéraires, la médiocrité des romans populaires, l’enseignement laxiste de la langue, le rejet des origines judéo-chrétiennes de notre civilisation, dérangent bien entendu, mais surtout il fut un des premiers à dévoiler le lien entre la décomposition de la langue française et la violence qui en découle. Dans un livre poignant, La Confession négative, il avait déjà décrit son expérience de la guerre au Liban à la fin des années 70 et au début des années 80. « La guerre est donc un lieu de vérité, une ordalie. » Tout en racontant la cruauté et la monstruosité de ces événements, il montrait déjà comment au terme de ce conflit la communauté de destin entre Juifs et chrétiens se transformait en une communauté d’opprobre, dans laquelle le christiano-sionisme devenait l’éternel coupable et l’islam la victime absolue. Le « palestinisme » romantique repose sur l’expiation de cet opprobre judéo-chrétien dont les signes s’appellent tantôt Sabra et Chatila, tantôt Gaza, tantôt Mohammed El Dura. La sacralisation de la cause palestinienne répondant en écho à l’hypermnésie de la Shoa, allait permettre l’incroyable retournement de l’opprobre où Israël est accusé d’infliger aux Palestiniens ce qu’il avait lui-même enduré de la part des bourreaux nazis. L’imposture nous dit Millet c’est de ne jamais évoquer le massacre de Dammour, l’assassinat de Bechir Gémayel, le terrorisme du Hezbollah contre la population civile, etc… Vidée de son héritage spirituel, l’Europe a perdu ses repères et se retrouve face à deux grandes forces planétaires : l’islam et le consumérisme. Dans les deux cas, elle a décidé ou accepté de se soumettre. Millet espère une autre voie, en appelle à un renouvellement de l’alliance ancienne avec le peuple d’Israël, qui a su accomplir son retour vers la terre ancienne, mais aussi faire renaître la langue de la Bible. C’est à ce modèle, « l’élection, plus que la civilisation », qu’il confie ses espérances. Retrouver une France, fille aînée de l’Église et reconnaissant au peuple juif son droit d’aînesse, voilà ce qui pourrait à ses yeux lui redonner sa dimension spirituelle et son rang parmi les nations. « N’y a-t-il pas toujours un Juif qui témoigne pour moi, sinon en moi, chrétien ainsi chargé de lui témoigner une éternelle reconnaissance ? »
Israël depuis Beaufort n’est pas seulement un essai politique, mais un témoignage sur cet endroit mythique Qalaat al Chaqif (le château du haut roc), haut lieu de l’héroïsme militaire des commandos Golani de Tsahal, d’où l’on aperçoit la vallée magnifique de la Bekaa d’un côté, et le Golan et la Galilée de l’autre. Les Golani prirent d’assaut le Beaufort lors d’un combat acharné en juin 1982, et ce fait de guerre est emblématique pour cette unité de choc. Millet se souvient des amis juifs de son enfance, de son voyage à Jérusalem à l’adolescence avant la guerre des six jours, « ultime guerre glorieuse de l’Histoire », et du drapeau israélien qui flottait de l’autre côté de la ville, mais aussi des cours d’hébreu biblique, qu’il suivit, lui qui « a grandi dans l’arabe libanais », chez Henri Meschonnic. Il nous livre d’émouvants souvenirs de ses « amitiés juives » alors qu’il enseignait le français dans un lycée du nord de la France. Catholique inspiré par Péguy et Claudel, il ne renonce pas et continue son combat contre le néo-paganisme pervers qui sévit dans les sociétés narcissiques du « vivre-ensemble » et du « faisons-nous plaisir ». Comment accorder une quelconque crédibilité à ceux qui mélangent l’antiracisme et la cause palestinienne, arborant le keffieh, « ce jabot de pintade », pour soutenir l’égalité des femmes et la cause homosexuelle, mais ne versent pas une larme sur l’extermination des chrétiens d’orient, dont il faut effacer la présence parce que, comme les Juifs, ils étaient là au Proche-Orient avant les Arabes. « Ne pas se terrer devant le musulman triomphant et méprisant : voilà ce qui nous anime puissamment »
La langue de Millet est d’une rare beauté. Sa force poétique transporte le lecteur et insuffle une force intérieure aux mots donnant à sa parole un sens oublié. Elle nous donne à penser que tout n’est pas perdu, qu’il n’est peut-être pas trop tard, et qu’avec le courage nécessaire Juifs et chrétiens, investis de l’héritage de Jérusalem, peuvent encore éviter le pire. Primé par l’Académie Française pour son livre Le sentiment de la langue, Millet, passionné de musique, redonne aux mots leur mélodie secrète, comme une voix invisible qui les habite pour nous en livrer leur sens caché. Pour Millet la guerre est un texte qui s’insurge contre le mensonge, et la littérature sert à rendre à la vérité toute sa lisibilité, à condition de nous libérer de nos peurs, de nos faiblesses et de notre aveuglement. Il nous invite, à croire à un sursaut, à rester tête droite et à ne pas détourner notre visage de la lumière.