Je connais Bat Ye’or depuis des années. Je ne connais pas de femme plus courageuse, plus droite, plus scrupuleuse. Le travail intellectuel qu’elle a mené toute sa vie est considérable.
C’est par son travail que la notion de dhimmi, définie de manière délibérément édulcorée dans le monde occidental pendant trop longtemps par les Musulmans pratiquant la da’wa et par de prétendus islamologues, comme renvoyant à la « protection » dont jouiraient Juifs et Chrétiens en terre d’islam, a pu prendre place dans la réflexion sur l’islam et se trouver enfin présentée dans sa sordide réalité : le dhimmi n’est protégée en terre d’islam qu’à la façon dont le proxénète protège les femmes qu’il met sur le trottoir. Le dhimmi doit payer le crime de n’être pas musulman et faire ce que les Musulmans lui disent de faire. Il doit être humilié, rabaissé, utilisé comme un ustensile, éventuellement jeté après usage, et tué.
C’est par le travail de Bat Ye’or encore que la notion de dhimmitude, qu’elle a forgée et qui rime avec la notion de servitude, a elle-même pris place et servi à définir le statut du dhimmi en terre d’islam et partout où des Juifs et des Chrétiens menacés par l’islam se font complices de celui-ci.
C’est par son travail encore qu’ont été mis au jour tous les linéaments sous-jacents au « dialogue euro-arabe » enclenché en 1973, et qui ont conduit à la création de liens de plus en plus étroits entre les pays d’Europe occidentale et le monde arabo-musulman avec, peu à peu les résultats que l’on constate : immigration de masse, interdépendance économique et financière qui pousse les gouvernements européens à de multiples silences complices, islamisation des sociétés d’Europe occidentale, montée de l’antisémitisme musulman, politique étrangère anti-israélienne.
Pendant des années, Bat Ye’or a parcouru l’Europe et l’Amérique du Nord pour expliquer, mettre en garde, dire ce qui devait l’être. L’importance de son travail a été reconnue par d’éminents historiens, tels Martin Gilbert et Robert Wistrich.
Son travail a aussi, c’est logique, suscité l’hostilité des Musulmans pratiquant la da’wa, des prétendus islamologues, des gens courbés en position de dhimmi, des collaborateurs actifs à l’islamisation de l’Europe et du monde occidental. Des articles vils et diffamatoires ont été publiées traînant le travail de Bat Ye’or dans la boue.
L’accès aux grands médias lui a été fermé, ce qui, sur le mode totalitaire désormais courant en Europe, a laissé le monopole de la parole aux auteurs des articles en question. La publication d’Autobiographie politique est, pour l’heure, entourée en France d’un silence de plomb que je ne connais que trop bien. Le journal Le Monde a rompu ce silence en publiant un article perfide.
Le ton est donné dès le titre de l’article : « Bat Ye’or, l’égérie des nouveaux croisés ».
Le mot égérie est, en soi, péjoratif : servant autrefois à désigner une muse ou une inspiratrice, il désigne aujourd’hui une femme choisie comme emblème publicitaire. Son utilisation a un sens : Bat Ye’or est censée être superficielle. L’expression « nouveaux croisés », elle, est carrément répugnante : d’une part, elle signifie que ceux qui combattent l’islamisation du monde occidental et qui disent la vérité sur l’islam sont les équivalents des Croisés des onzième et douzième siècles et donc, porteurs de convictions d’un autre temps que les esprits supérieurs du vingt et unième siècle ne peuvent que dédaigner et traiter avec mépris, d’autre part, elle utilise le vocabulaire utilisé par les islamistes depuis des années pour justifier les assassinats d’Occidentaux et elle entérine cette utilisation. Les islamistes s’estiment injustement agressés, donc ils tuent : ce sont, selon eux, eux les victimes, donc ils se font meurtriers depuis une position de légitime défense. En parlant de nouveaux croisés, Le Monde se fait complice de la vision islamiste des choses, et présente les Occidentaux hostiles à l’islam comme les agresseurs, les Musulmans comme les agressés, les assassinats islamistes comme des ripostes à l’agression. En identifiant Bat Ye’or aux nouveaux croisés et en en faisant l’« égérie » de ceux-ci, Le Monde fait de Bat Ye’or une cible pour les islamistes et justifie par avance toute agression, toute tentative d’assassinat contre elle.
L’article est à la hauteur du titre et donc à hauteur d’égout et de cloaque. Après une référence à Soumission de Michel Houellebecq, l’auteur de l’article cite le romancier politiquement correct Ivan Jablonka, qui décrit Bat Yé’or comme « un des piliers intellectuels de cette haine, ou de cette peur, de l’islam ». Autrement dit, Bat Ye’or est présentée comme incitant à une peur et à une haine irrationnelles. Pratiquant la psychanalyse pour comptoir de bistro, Ivan Jablonka attribue cette haine et cette peur qu’il pense avoir détectées à l’enfance de Bat Ye’or dans l’Égypte dont sa famille a été chassée (par de très gentils Musulmans pas du tout antisémites et pas du tout haineux vraisemblablement).
L’auteur de l’article parle ensuite des « obsessions pugnaces » et des « angoisses virulentes » de Bat Ye’or. Les mots semblent indiquer qu’il veut l’envoyer vers un psychiatre.
Après une description presque acceptable des travaux de Bat Ye’or, il trouve un autre auteur (non, je n’utilise pas le mot grotesque auteure, et quand je le vois je le mets à la poubelle) qui dit que les travaux en question relèvent du « pamphlet exalté », puis un obscur « érudit » du nom de Mohammad Ali Amir-Moezzi, qui dit que le travail de Bat Ye’or est « anachronique et unilatéral ». Un autre auteur encore est cité qui dit que « la référence aux dhimmis est fréquente sur les sites d’extrême droite ».
Bat Ye’or est sur cette base accusée d’être citée par des « journalistes ou militants qui font de la lutte contre “l’islamisation de l’Europe” leur combat affiché, au nom d’une défense de l’identité française, de l’Occident chrétien ou d’Israël ».
L’auteur de l’article trouve visiblement que défendre l’identité de son pays, la civilisation occidentale, le Christianisme et, de surcroît, Israël est monstrueux.
Pour en rajouter encore, il cite un père dominicain qui accuse Bat Ye’or de mettre « les pieds d’un éléphant dans un jardin », puis Pierre-André Taguieff qui, très courageusement, avoue sa « gène » d’avoir côtoyé Bat Ye’or autrefois, et souligne qu’« en noircissant le tableau, elle a pu sembler justifier les fantasmes complotistes ». Il conclut : « il n’y a qu’à voir la place qu’elle tient dans le texte d’Anders Breivik ». Chez moi, on appelait ce genre de remarque immonde le coup de pied de l’âne, ce qui n’était pas gentil pour les ânes.
L’auteur de l’article ne peut se limiter à accuser à mots feutrés Bat Ye’or d’être l’inspiratrice d’un tueur de masse, et il enfonce le clou venimeux en l’accusant dans le paragraphe suivant de complotisme et de conspirationnisme.
Parce que Bat Ye’or l’a cité, l’auteur de l’article consacre un paragraphe à Boualem Sansal et accuse ce dernier d’avoir rompu avec l’islam et d’être en somme, un apostat. (L’apostasie étant un crime majeur en islam, l’auteur de l’article, après avoir fait de Bat Ye’or une cible pour les islamistes, pose ainsi une deuxième cible, sur la tête de Boualem Sansal).
L’article se conclut sur des phrases identifiant le travail de Bat Ye’or à un travail de fiction illustré par le roman Soumission cité plus haut.
L’auteur de l’article s’appelle Jean Birnbaum. Outre ce qu’il écrit pour Le Monde, il parle sur France Culture.
Une brillante carrière s’ouvre à lui.
© Guy Millière pour Dreuz. Toute reproduction interdite sans l’autorisation écrite de l’auteur.