Jean-Loup Mordekhaï Msika : « Recette pour ne pas voir. »

Il existe une histoire scientifique, mais aussi une histoire idéologique, et elles sont très différentes et même opposées : le choix, lourd de conséquences, est entre une analyse lucide et courageuse ou un aveuglement volontaire qui est favorisé, lui, par les élites et médias soi disant « politiquement corrects ». Pour l’historien scientifique, l’examen, l’étude des documents, témoignages et archives disponibles sert à identifier les nerfs, les ressorts essentiels, les lois qui conditionnent les grands événements sociaux et politiques, quitte à exposer les dangers, les défis réels et parfois vertigineux qui se présentent.

Dans sa Muqaddima, III, Ibn Khaldoun, est clair : « De gré ou de force » – la violence et la contrainte d’un côté, et de l’autre la laïcité : « Les autres communautés… n’ont pas l’obligation de dominer les autres nations, comme dans l’islam… » (1)

Un totalitarisme problématique, encore à l’œuvre de nos jours, est donc déjà reconnu, identifié, nommé par un illustre chroniqueur musulman du XIVe siècle. En effet, des phénomènes actuels tels que : la pratique persistante de l’esclavage des Africains dans les sociétés arabo-musulmanes, la culture persistante de haine et de mépris envers les « infidèles » (chrétiens et juifs) dans le cadre de la dhimma, la détestation hystérique d’Israël vu comme état « dhimmi » à combattre et à éliminer, ou enfin le traitement cruel réservé aux femmes, séquestrées, mutilées, violées, lapidées, assassinées dans des crimes « d’honneur », etc. – de tels phénomènes doivent impérativement être reliés, articulés pour une vue d’ensemble. Il s’agit de voir enfin pour être en mesure de relever le défi global que nous lance le Djihad, à l’assaut du Monde Libre et de la Charte Universelle des Droits de l’Homme.

 

Mais l’historien « idéologique » ne recherche pas les ressorts majeurs, les lignes de force, les mécanismes profonds, mais se contente d’accumuler les détails, les anecdotes, ce qui permet de balayer sous le tapis ce qui s’écarte du projet idéologique préconçu. Les auteurs, par exemple, de la collection Histoire Partagée (Projet Alladin) enjolivent et entretiennent délibérément une confusion pavée de bons sentiments : « …le sort des juifs en pays arabes, à part quelques épisodes pénibles, par ci par là, n’était pas si mauvais… et il suffirait de tourner la page, de tendre la main, de faire des compromis, de s’incliner, pour la Paix, la fraternité… ». D’où l’on peut déduire qu’une indépendance juive (l’état souverain d’Israël) qui agace tellement n’était pas nécessaire, qu’elle doit reculer, s’effacer… que Jérusalem doit être « partagée », discours « politiquement correct » bien accueilli dans les médias dominants et par des « élites » qui cherchent à nous faire avaler aussi une immigration musulmane massive et incontrôlée, en Europe, en Amérique du nord et ailleurs.

Les médias « bien-pensants » vont automatiquement disqualifier toute approche scientifique en la caricaturant.

« L’égérie des nouveaux croisés » et des « milieux islamophobes ».

Dans ce contexte, la parution de l’Autobiographie Politique de Bat Ye’or (Les provinciales) est un événement majeur, avec la saga de son valeureux combat pour la vérité et la liberté, et des révélations stupéfiantes et insoupçonnées. Dans l’article du Monde qui lui est consacré (16 février), Jean Birnbaum présente Bat Ye’or d’emblée comme « l’égérie des nouveaux croisés », comme s’il existait aujourd’hui un mouvement prônant la reconquête du Saint Sépulcre, lequel Saint Sépulcre est en fait géré depuis 1967 par les différentes églises chrétiennes qui s’entre-déchirent d’ailleurs. En fait, M. Birnbaum reprend tout simplement à son compte la terminologie des islamistes qui appellent à la « guerre contre les Croisés » ! C’est grave et cela prouve que Bat Ye’or a raison de s’inquiéter pour une Europe qui se précipite dans cette terminologie.
Bat Ye’or est « admirée dans les milieux islamophobes » ! nous explique encore Jean Birnbaum. Souhaite-t-il, avec les islamistes, entretenir une confusion entre racisme répréhensible et islamophobie, critique légitime d’une idéologie politico-religieuse totalitaire et violente, enseignant massivement la haine des « infidèles », surtout juifs ?
Jean Birnbaum consulte la sociologue Lucette Valensi, collaboratrice du projet Alladin, sur l’ouvrage de Bat Ye’or. Mme Valensi condamne : « …ce livre-là est un pamphlet exalté, qui ignore la diversité interne et l’évolution des sociétés musulmanes dans le passé, et qui n’a pas plus de validité pour l’époque contemporaine : même Khomeyni n’a pas rétabli la dhimma en Iran ! » Seule de son espèce, Mme Valensi n’a donc pas entendu les sempiternelles menaces des ayatollahs d’éradiquer « ce cancer qu’est l’entité sioniste », le crime impardonnable des juifs étant justement d’avoir conquis leur indépendance, leur souveraineté pour échapper enfin à la dhimma ! Mais le journaliste du Monde ne trouve rien à lui rétorquer.
Plus sérieusement, de la masse des documents, témoignages et archives, Bat Ye’or dégage et présente clairement une dynamique à l’œuvre depuis 14 siècles, une entreprise persistante, très inquiétante pour l’avenir ; un projet cohérent et inflexible de soumission de l’humanité entière, réaffirmé sur tous les tons, et sans aucun complexe, par ses partisans qui exigent une domination universelle et clament que tout ce qui n’est pas « Dar al-Islam » est « Dar al-Harb »  (maison de la guerre). De la dhimmitude historique et toujours en vigueur, au sinistre méga-projet actuel enrôlant l’Europe, le projet « Eurabia », de Couve de Murville et consorts, Bat Ye’or s’est appliquée dans ses ouvrages à exposer tous les rouages de cette menace existentielle qui plane sur le Monde Libre.
Et c’est exactement ce que le monde ne veut pas savoir, ni entendre. La détestation du « whistleblower » caractérise un monde somnolant dans un confort douillet et dans les compromissions les plus abjectes : il n’y a pire sourd que qui ne veut entendre. Il est tellement plus confortable de faire comme si de rien n’était : « l’argent n’a pas d’odeur », disait Vespasien… Et comme Bat Ye’or s’évertue à prévenir une catastrophe aussi incommensurable que la disparition éventuelle du Monde Libre au profit d’une dhimmitude universelle, elle est vivement critiquée, et même qualifiée de « Cassandre », « alarmiste », « conspirationniste », « islamophobe », « clivante », etc. 

Bat Ye’or dérange. Car pour elle, une réforme profonde de l’Islam est indispensable : il doit impérativement répudier la dhimmitude, pour respecter enfin les minorités et leur indépendance, et cesser de s’auto-détruire en entraînant le monde dans un fleuve de sang. La paix ne pourra se construire que sur la vérité…

Jean-Loup Mordekhaï Msika
architecte-plasticien, auteur d’un projet pour Jérusalem, de Mémorial-Musée, centre d’archives, d’étude et de création, consacré à l’histoire et à la culture des juifs des pays islamisés.

(1) « Dans la communauté musulmane, la guerre sainte est un devoir religieux, parce que l’islam a une mission universelle et que tous les hommes doivent s’y convertir de gré ou de force…
Les autres communautés… n’ont pas l’obligation de dominer les autres nations, comme dans l’islam… Les responsables religieux n’y sont en rien concernés par les affaires du gouvernement… C’est pourquoi les Israélites, après Moïse et Josué, ne s’intéressèrent guère aux affaires du pouvoir pendant près de quatre cents ans, ayant pour unique souci d’établir leur religion… »

Ibn Khaldoun
Muqaddima, III
Gallimard, coll. « La Pléiade ».