Il n’est plus nécessaire de présenter Bat Ye’or aux lecteurs de Sens : nous avons régulièrement rendu compte de ses travaux (1) et avons même publié plusieurs articles qu’elle nous avait confiés (2). Avec l’appui de son mari, David Littman, aujourd’hui décédé, elle a consacré sa vie à étudier et à rendre compte de la condition des Juifs et des Chrétiens sous l’Islam, ce qui, bien évidemment, lui a valu bien des inimitiés. Quand son éditeur lui demanda d’écrire sa biographie, elle fut d’abord réticente, mais finalement s’y attela et cela nous vaut cet ouvrage extrêmement vivant, à la fois factuel puisqu’elle y raconte « sa vie », mais aussi plus que cela car cette vie fut remplie d’intuitions – dont elle retrace ici les origines et la traduction en conférences et en livres – et de combats avec ceux qui, pour de multiples raisons, n’acceptaient pas ses analyses.
Originaire d’Égypte, née dans une famille chaleureuse et aimante de la bourgeoisie juive cairote, elle fut expulsée comme apatride par Nasser en 1957. Réfugiée d’abord à Londres, elle s’installa, une fois mariée, en Suisse qui reste, jusqu’à ce jour. sa patrie d’adoption. Un concours de circonstances l’amena à écrire, dans un format modeste, un opuscule foumissant des données essentielles sur le judaïsme d’Égypte, dont la riche histoire avait été entravée par les lois anti-juives d’exception de la période 1945 -1948, antérieure donc à la création de l’État d’Israël. Cette première brochure de quatre-vingts pages suscita bien sûr l’intérêt des responsables communautaires, heureux de pouvoir disposer d’une étude documentée sur une communauté juive, désormais disparue, d’un pays arabe ; mais aussi, et plus souvent de manière virulente que seulement académique, l’opposition d’un certain nombre d’intellectuels récitant la doxa de l’absence de toute judéophobie et d’un éternel âge d’or interreligieux en Islam. Pour leur répondre, elle se mit au travail, d’où la série d’ouvrages qu’elle a ensuite publiés, dont le sous-titre « De la découverte du dhimmi à Eurabia » donne exactement la teneur.
Mais il faut lire cette biographie pour comprendre ce qu’a été l’enfer qu’elle a dû vivre, simplement parce qu’elle avait soulevé des questions qui n’étaient pas acceptables et qu’elle y apportait, documents à l’appui, des réponses allant à l’encontre du discours officiel. Comme le dit la page de couverture, en racontant l’histoire de sa vie, elle éclaire celle de notre civilisation aux prises avec le refus de savoir, les défis de l’obscurantisme et la lâcheté.
Yves Chevalier, Sens n°427, novembre-décembre 2019.
(1) Cf. Sens, 1991 n°12, p. 431 ; 1994 n°7/8, p. 352 ; 2005 n°5, 2009 n°5, p. 304 ; 2015 n°395, p. 76 ; 2019 n°424, p. 273.
(2) Cf. Sens, 1992 n°1, p. 3 ; 1995 n°12, p. 487 ; 2001 n°9/10, p. 445.