Interrogé par Le Monde d’hier sur l’antisémitisme maurrassien, Frédéric Rouvillois répond mal ; dommage, car Pierre Boutang et Michaël Bar-Zvi ont montré que être nationaliste c’est intégrer les racines juives de la nation française, seul rempart contre une barbarie sans limite qui prône la déjudaïsation de l’Europe. Extrait :
(…) « Le journaliste et essayiste catholique Gérard Leclerc, exclu de l’Action française pour “gauchisme” à la fin des années 1960, a fait paraître en 1974 Un autre Maurras (IPN), effort important, sinon toujours convaincant, d’ouverture de la pensée maurrassienne aux enjeux contemporains, dans un rapprochement étonnant avec l’esprit de Mai 68. Leclerc publie d’ailleurs ces jours-ci Sous les pavés, l’esprit (France-Empire/Salvator, 148 p., 14 €), un hommage vibrant à Mai vu comme révolte spirituelle contre la société bourgeoise et technocratique.
“L’une des phrases les plus importantes de Maurras à mes yeux, explique-t-il aujourd’hui, c’est : ‘Les libertés se prennent, elles ne s’octroient pas.’ La société se constitue par elle-même. L’Etat a un rôle subordonné. Il y a une expression qui n’est pas de Maurras mais qui le résume bien : ‘La monarchie, c’est l’anarchie plus un.’ ” Il ajoute “haïr” les textes antisémites de Maurras, et évoque le philosophe Pierre Boutang (1916-1998), “un de mes maîtres dans le maurrassisme”, dit-il : “Il a répudié l’antisémitisme, accomplissant une révolution totale quand il s’est plongé dans la pensée juive.”
En fidèle soutien de l’idée conservatrice, Frédéric Rouvillois s’attache à une version plus classique : le “Maurras qui défend avant tout une approche rationnelle, voire rationaliste. Sa méthode est empirique. La question est : qu’est-ce qui est indispensable au développement de la société ? Réponse : une structure qui puisse conserver ses éléments fondamentaux. Il déduit de ce qu’il observe dans le passé et le présent qu’il ne peut s’agir que de la nation. Mais comment défendre la nation ? C’est là qu’il en vient à la monarchie, dont il dit qu’elle se déduit comme un théorème.”
Soit le maurrassisme archétypal ramené à son épure, loin de la tentative radicale de Gérard Leclerc. Sauf que, n’étant justement pas allé aussi loin, il lui reste à écarter l’antisémitisme. Est-ce seulement possible ? La réponse de Frédéric Rouvillois relève davantage de l’illusionnisme que du théorème : “On peut tout à fait l’enlever, comme on peut enlever du marxisme Pol Pot ou Mao.” On insiste donc. L’historien Bruno Goyet, dans son excellente biographie de Maurras (Presses de Sciences Po, 2000), écrit que son antisémitisme “se place en réalité au cœur de la définition de la communauté nationale”, en définissant les juifs comme étrangers, par essence, au “pays réel”, que le théoricien opposait au “pays légal”. Il cite Maurras lui-même : “l’Antisémitisme, au sein duquel a germé le Nationalisme”…
Les juifs sont-ils, pour Maurras, étrangers au corps national ? Réponse de Frédéric Rouvillois : “Il ne le pense pas plus que le comte de Clermont-Tonnerre, qui disait en 1789, en les émancipant, que les juifs n’avaient aucun droit en tant que tels, et tous les droits en tant que Français.” Que fait-il alors du soutien apporté par Maurras au statut des juifs promulgué par Vichy en 1940 ?
Le maître de l’Action française n’a pas semblé, à ce moment-là, considérer qu’ils avaient “tous les droits en tant que Français”. Silence du créateur de la Fondation du Pont-Neuf. Il reprend : “Oui, si vous voulez. C’est vrai.” Puis : “Mais je pense que si on ampute Maurras de son antisémitisme, comme le fait Pierre Boutang par exemple, ça tient debout.” Comment ? On n’en saura pas davantage. Boutang, argument ultime, totem d’un Maurras magiquement purifié : singulière pétition de principe pour une pensée “rationnelle, voire rationaliste”. » (…)
Extrait de Florent Georgesco, « Petits arrangements avec un mort », Le Monde du 20 avril 2018.