« La terreur et la lutte. » (Extraits.)

Passées les âpres négociations qui suivirent la défaite de l’Empire ottoman, la Société des Nations donna à la Grande-Bretagne, un mandat sur la Palestine, avec ordre de placer le pays dans des conditions « permettant d’établir le Foyer national juif ».

La communauté juive de Palestine croyait que la mise en œuvre de la Déclaration Balfour allait enfin atteindre son rythme de croisière. Elle dut rapidement déchanter. L’Angleterre multipliait les obstacles à l’immigration, notamment par l’institution de quotas réduits d’entrée en Palestine. Ceux-ci ne s’appliquaient pas aux Arabes originaires des Etats voisins qui, au cours de la décennie 1920-1929, affluèrent dans le pays en plus grand nombre que les Juifs. En dix ans, ces derniers n’avaient, en effet, vu leur nombre augmenter que de 40 000 à 50 000 âmes. C’était encore beaucoup trop aux yeux des dirigeants arabes, qui, à l’instigation de El Hadj Amine AI Husseini, provoquèrent en 1929 une nouvelle flambée de violences, marquées notamment par l’horrible massacre de Hébron. Ces atrocités conduisirent à la formation d’une commission anglaise d’enquête présidée par Sir Walter Shaw. Les conclusions de cette commission se situèrent dans le droit fil de la politique britannique, qui consistait à rejeter la responsabilité des troubles sur les victimes (…) et recommandait l’adoption de mesures ayant pour effet d’annuler purement et simplement les engagements de la Grande-Bretagne envers les Juifs (…)

Pourtant à partir de l’accession d’Hitler au pouvoir en Allemagne le 30 janvier 1933, les flux d’immigrants ne cessèrent de grossir. Au cours de la seule année 1933, plus de 37 000 Juifs gagnèrent la Terre d’Israël, soit presque autant que durant les dix années précédentes. Ce chiffre passa à 45 000 en 1934 et à 66000 en 1935, lors des lois antijuives de Nuremberg. L’avènement d’une majorité juive en Palestine semblait d’autant plus inéluctable qu’aux Israélites allemands viendraient bientôt se joindre leurs coreligionnaires d’Europe orientale que menaçait ouvertement l’expansionnisme hitlérien.
Pour essayer de retarder cette échéance, le gouvernement de Londres s’efforçait d’accroître par tous les moyens la population arabe du pays, ce qui le conduisit notamment à y transplanter au cours de la seule année 1934, plus de 30000 Syriens chassés du Hauran par la sécheresse. Il ne s’en voyait pas moins rapproché du moment où il serait dans l’obligation de s’acquitter envers le peuple juif des engagements moraux et juridiques qu’il avait contractés, mais à la réalisation desquels il ne tenait plus depuis longtemps. Ainsi s’ouvrit un des chapitres les plus sanglants de l’histoire de l’humanité.
De nos jours encore, l’historiographie officielle en Occident se refuse le plus souvent à admettre la complicité des Alliés en général et des Britanniques en particulier dans le génocide hitlérien. Il s’agit pourtant là d’un fait avéré (…) Confrontés à une situation qu’ils n’avaient pas prévue, les milieux gouvernementaux anglais résumaient leur politique proche-orientale en une maxime lapidaire : to keep the Arabs sweet and the oil flowing – encourager les Arabes à être gentils pour que le pétrole continue de couler. De 1936 à 1939, ils allaient progressivement condamner à mort les Juifs d’Europe en leur fermant les portes de la Palestine, devenue pour eux la seule planche de salut (…)

L’holocauste n’était pourtant pas rendu inéluctable par la seule présence d’Hitler au pouvoir. (…) Victime de sa vision démoniaque des Israélites, il était absolument convaincu que ces derniers étaient incapables de constituer leur propre Etat. C’est ce qui l’avait conduit à affirmer dans Mein Kampf : « Ils n’ont pas du tout l’intention d’édifier en Palestine un Etat juif pour aller s’y fixer. Ils ont simplement en vue d’établir l’organisation centrale de leur entreprise charlatanesque d’internationalisme universel ».
Cela ne l’avait pas empêché, une fois devenu dictateur, de faire une entorse au contrôle de changes pour autoriser ceux des Juifs qui en avaient les moyens à transférer une partie de leurs avoirs en Palestine (…) Les autres se voyaient soumis à toutes sortes de violences qui devaient les inciter à quitter l’Allemagne, sans que la question des pays d’accueil fût prise en considération. En trois ans (1933-1936), un tiers seulement des Juifs allemands avaient quitté leur ancienne patrie. La majorité n’avait pu le faire, faute d’un endroit où se réfugier.
Or, c’est précisément à cette date que l’ Angleterre commença à fermer aux : Juifs les portes de leur « Foyer national ». De plus de 66 000 en 1935, l’immigration fut réduite à moins de 30000 en 1936 et à 10000 en 1937. En 1938, année de la « Nuit de cristal », moins de 15000 Juifs furent admis en Terre d’Israël (…) Aussi est-ce vers l’immigration clandestine en Palestine que se tournèrent les mouvements sionistes. (…) Toutefois, à partir du second semestre de 1938, le flux des immigrants illégaux se raréfia, car la flotte anglaise montait une garde de plus en plus vigilante au large des côtes de la Terre sainte et arraisonnait de nombreux bateaux de réfugiés, dont les occupants étaient purement et simplement renvoyés vers leur port d’embarquement, c’est-à-dire vers la mort. Les autorités anglaises n’ignoraient pourtant rien du sort qui attendait ces malheureux. (…)

Sans doute, dans son discours du 30 janvier 1939 au Reichstag, Hitler brandit-il pour la première fois en public la menace de « la destruction de la race juive en Europe », mais tout en gardant ouverte l’option de l’expatriation. Quelques jours plus tard, le 11 février 1939, Heydrich, placé à la tête de l’ « Office central du Reich pour l’émigration des Juifs », proclamait encore : « Nous devons continuer à promouvoir l’émigration par tous les moyens dont nous disposons » (…) Mais les premières bombes allemandes étaient à peine tombées sur la Pologne que le Tigerhill, avec 400 réfugiés à bord, fut accueilli par les Anglais au large de Tel-Aviv à coups de canons. D’autres navires connurent un sort semblable jusque dans le courant de 1942, alors que les chambres à gaz fonctionnaient déjà à plein rendement (…)

En janvier 1944, les éléments les plus lucides et les plus combatifs de la communauté juive de Palestine avaient pris les armes contre la Grande-Bretagne. (…)

La résistance armée des Juifs aux Britanniques a été dénoncée par les contempteurs d’Israël comme la manifestation d’un odieux terrorisme. Mais ce terme est impropre, car il y eut en l’occurrence guérilla dirigée exclusivement contre les représentants civils et militaires de la puissance occupante, à l’exclusion des personnes innocentes parce que étrangères au conflit. L’ensemble des pertes en vies humaines subies par les Anglais du fait de l’action des trois organisations clandestines juives (Irgoun, Haganah et Groupe Stern) demeura d’ailleurs inférieur à 200 morts.

Michaël Bar-Zvi et Claude Franck, Le Sionisme, © Les provinciales.