« L’autodétermination du peuple juif. » (Extraits.)

La prétendue « déjudaïsation » des Juifs en Israël ne peut être affirmée qu’au prix d’une assimilation du judaïsme à la civilisation du ghetto.

 

Le sionisme s’est affirmé d’emblée comme un retour au judaïsme par l’acquisition de la souveraineté nationale. Dès 1897, Herzl proclamait : « Les Juifs n’ont d’autre issue que de retourner à leur peuple et ils ne pourront trouver leur salut qu’en s’établissant sur leur propre terre. » La revendication étatique apparaît ainsi moins comme une fin que comme un moyen, si essentiel soit-il. Au XXe siècle, l’existence d’un Etat est devenue condition nécessaire de la mise en œuvre de l’autodétermination (…)

Elle ne consiste pas seulement à se libérer d’un occupant, mais à délivrer le Juif de son exil intérieur et de sa dépendance extérieure. Elle ne peut donc se réaliser que conformément à un des préceptes fondamentaux du judaïsme : le rassemblement des exilés, première phase du salut pour le peuple juif. Celui-ci est, en effet, le seul propriétaire légitime de la Terre d’Israël qu’il n’a jamais complètement quittée (à la fin du XIXe siècle la communauté juive de Jérusalem est la plus importante, selon les premiers recensements établis par les autorités ottomanes : 25000 Juifs sur 39000 habitants en 1889) et où il se borne à retourner, car l’expulsion physique n’a aboli ni l’appartenance des Juifs à Sion, ni l’appartenance de Sion aux Juifs.
Le sionisme découle de cette appartenance réciproque. S’il existe un noyau permanent en Eretz Israël, l’autodétermination sera le résultat du renforcement de ce noyau, de sa transformation en une société moderne et indépendante. L’Exil encouru pour survivre à la persécution s’est avéré facteur supplémentaire d’oppression. La négation de l’indépendance juive en Terre d’Israël a comporté deux phases : l’occupation du territoire par une puissance étrangère et l’expulsion du peuple juif. L’aliénation politique et sociale d’Israël ne s’analyse donc pas en une colonisation, mais en une déportation.
Or, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ne peut être mis en œuvre que si le peuple en cause se trouve réuni sur un même territoire. Le peuple juif se doit de retourner en Eretz Israël afin d’exercer ce droit que le sionisme a pour mission de lui faire connaître.
Au début du XXe siècle, les Juifs se trouvaient privés de leurs droits sur le territoire, mais ressentaient profondément la nécessité de les reconquérir . La création de l’Etat d’Israël les leur a restitués, mais le peuple juif tout entier n’a pas encore pris conscience de son devoir de libération. Cette dialectique du droit et du devoir est au cœur même du sionisme. Le droit n’est en l’occurrence qu’un moyen de favoriser l’accomplissement des devoirs du Juif envers son peuple : créer un Etat reconnu par les nations n’est pas une fin en soi, mais le point de départ d’un processus de renaissance de l’identité juive.
En tant que philosophie politique, le sionisme incarne la permanence de la pensée juive qui a pour constante essentielle le messianisme, c’est-à-dire la foi en un dépassement de l’Histoire par l’avènement d’une ère de libération de l’homme. La libération du Juif par son retour au Foyer ancestral précède et annonce celle de l’humanité entière.
En tant que mouvement d’émancipation le sionisme est l’expression de la Nation juive, qui constitue l’archétype de la communauté nationale telle que l’ont entendu le XIXe et le XXe siècles européens . En Israël, cette Nation possède, en effet, un territoire où elle entend « vivre ensemble » et exercer sa souveraineté par un Etat qui la personnifie. Celui-ci est donc la conséquence directe du mouvement qui l’a créé, mais il exerce également une action en retour sur ce mouvement. Héritier légitime de l’histoire juive, il continue de lutter contre l’occupation de la Terre d’Israël par toute puissance étrangère, ainsi que contre les tendances à la dilution des valeurs du judaïsme tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de ses frontières. La société israélienne à laquelle il a donné naissance est aujourd’hui au centre de la vie juive. Sa prétendue « déjudaïsation » ne peut donc être affirmée qu’au prix d’une assimilation du judaïsme à la civilisation du ghetto, alors que celle-ci n’a constitué qu’un moment historique de la vie de celui-là.

Michaël Bar-Zvi et Claude Franck, Le Sionisme, © Les provinciales.