Shakin Nir, Causeur : « Israël l’anti ghetto. »

Israël a un futur

 

Je viens de lire l’article de Falk van Gaver « Israël l’exil à domicile » dans le numéro de Causeur d’Octobre. Il s’agit d’un article intelligent, intéressant. Alors pourquoi ai-je eu un sentiment de manque, voire de porte-à-faux ?
Je l’ai relu lentement. Le premier choc que j’ai éprouvé est dans le choix de l’illustration qui représente de pittoresques ultra religieux de Mea Shearim. Ils sont extrêmement à la mode et de nombreux films, pièces de théâtre et romans s’attachent à décrire cette société en marge, d’une certaine manière tranquillisante puisqu’elle permet de remettre le Juif dans un ghetto.
Or Israël c’est d’abord et avant tout l’anti ghetto, ceci comprenant d’ailleurs le droit des Juifs religieux à vivre… dans un ghetto !

Le deuxième choc c’est la citation de Sobol en ouverture (« Cet endroit est débile. Tout le monde déteste tout le monde. Laïcs. Religieux. Ashkénazes. Sépharades. Juifs. Arabes. Il n’y a pas de futur. »). Citation qui illustre évidement la position de l’article entier.
La première partie de cette citation met en vedette les différences et les luttes intérieures d’Israël. Il semble y avoir une certaine jubilation à souligner ces déchirements. Je le comprends, c’est un ressort dramatique réel et journalier mais si j’en parle moi-même longuement, c’est pour chercher à établir leurs limites. Oui, l’équilibre est difficile. Il le serait à moins : voyez l’éclatement des pays artificiellement fédérés (Yougoslavie, Tchécoslovaquie, ou même la Belgique) ou les carnages des pays africains enfermés dans des frontières imposées par des compagnies coloniales sans compter les appels au démembrement pour une simple menace de crise financière en Espagne, voire en France (la Corse…) ou en Angleterre. L’équilibre est difficile mais c’est l’honneur et le défi d’Israël de le tenter et de le réussir chaque jour.
La deuxième partie de la citation est lapidaire : « Il n’y a pas de futur. » Il faudrait au passage signaler que Sobol a essayé de nous le prouver en se cherchant un futur ailleurs. Après une telle assertion, ce n’est pas seulement l’utopie qui se ferme, c’est la raison d’être d’Israël elle-même qui est en question. Or, confronté à une réalité extrêmement brutale, la menace d’anéantissement est loin d’être une illusion mais bien une réalité vécue quotidiennement. Et l’Israélien conserve malgré les avatars de son histoire un besoin de croire au « Messie » même s’il ne l’attend plus pour demain et éprouve l’obligation de lutter pour son avènement.

Encore deux regrets à propos de la façon dont il est rendu compte de mon livre. Dans l’introduction de l’édition en hébreu, je déclarais que mon livre n’était pas simplement une nostalgie mais un pont de compréhension entre les générations, ce qui sous-entendait aussi une mise en garde contre les pièges où nous étions tombés. Car à travers l’histoire du kibboutz, je mets en scène un exemple qui s’étendait à toute une génération éprise d’absolu et mue par des idéaux dont les détournements ont laissé une telle soif que les masses se laissent aujourd’hui aller à un vide angoissant ou se tournent vers des mysticismes grossiers.

Cette préoccupation d’universalité qui est la mienne n’est pas présente dans l’article alors que c’est pourtant l’un des moteurs de mon livre. Mais peut-être n’ai-je pas été assez clair.

Shakin Nir, Causeur, 27 octobre 2012.