Parution de La Guerre de six jours.

Entraîné à la suite de Dante et de James Joyce dans un livre où il avait eu l’audace d’effectuer longtemps avant sa mort ici bas son Purgatoire, Pierre Boutang écrivait de son double, « Montalte » : « Son action sur l’époque aurait paru plus nette si seulement il avait accepté de prendre quelque retard, infime, sur son propre mouvement ».
Boutang n’était pas un adepte de la démonstration lente, ni des regrets, cette mélancolie française, et je pense que, parvenus quarante ans après à ce cafouillage politique monstre de l’héritage gaullien, il est permis de rattraper le « retard » de 1967 et d’espérer qu’on prêtera désormais un peu mieux attention à ces textes « tirés des poubelles de l’histoire », mais plus « neufs ce matin que notre journal d’hier ».
Portant donc ce petit livre neuf comme jadis Ulysse sa rame sur l’épaule, il faut partir à la recherche du lecteur capable d’en accueillir sinon d’en accomplir une ou deux prescriptions – puisque ces textes se terminent par la mission assignée par l’Histoire à la France au Proche-Orient. Un général, un diplomate, un prétendant ou un littérateur à défaut d’un esprit vraiment royal justifierait ainsi l’effort qui consiste à relire et à relier ces textes, mais surtout à les avoir écrits (après six cents autres) pour La Nation Française, avant que le Tsunami littéraire n’emporte dans sa révolution le monde qui continue d’ignorer la parole murmurée dans le chaos grandissant. « Qui cite ses maîtres hâte la venue du royaume », dit le Talmud, hâtons-nous.

Olivier Véron, Les provinciales

La Guerre de six Jours, par Pierre Boutang

« La couronne du Saint Empire portait l’effigie de David et celle de Salomon, la politique de nos rois en France – avant Bossuet, de l’aveu même de Machiavel – était “tirée de l’écriture sainte”, et les nations, jusque dans l’hérésie jacobine et révolutionnaire, imitaient un dialogue immortel entre la naissance et l’obéissance au Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob.
L’échec final de la Chrétienté en Europe, et de sa “mission” sur les autres continents, rendant apparemment vaine la diaspora, la dispersion du peuple juif, permettant à de modernes empires de prétendre que la croix elle-même avait été vaine, restituait nécessairement aux Juifs leur charge originelle, l’idée de cette charge, transformée par l’aventure de vingt siècles.
(…)
Je crois que Jérusalem ne peut qu’être confiée à la garde de l’État et du soldat juifs. »

Pierre Boutang, La Nation française, 1er juin 1967.


* Philosophe, théoricien politique et romancier, homme de la trempe d’un Jünger, Pierre Boutang (1916-1998) fonda et dirigea de 1955 à 1967 La Nation Française, hebdomadaire dans lequel il écrivit chaque semaine ses « Politiques ». Puis il publia notamment Ontologie du secret (1973), Le Purgatoire (1976), Reprendre le pouvoir (1978), Maurras, la destinée et l’œuvre (1984) et succéda à Emmanuel Levinas à la chaire de métaphysique de la Sorbonne en 1976. « L’un des plus grands esprits de ce siècle » (Le Figaro), « auteur d’une œuvre multiforme et tempétueuse… d’une force de conviction et cohérence peu communes, et d’une imprudence qui se souciait peu des modes » (Le Monde). « Tout ce qui touche Pierre Boutang m’honore », aime à dire George Steiner.