Jacques Tarnero, Tribune Juive : « Un témoignage exceptionnel sur l’Algérie autant qu’un essai politique sur les passions idéologiques qui ont irrigué les deux bords de la Méditerranée. »

« Être homme c’est réduire au maximum sa part de comédie ». Jean Pierre Lledo a-t-il su obéir au mot d’André Malraux ? A-t-il réduit la sienne ? A-t-il bouclé sa boucle d’homme en quittant des chemins de traverse pour retourner dans ce chez lui qui l’attendait autant qu’il l’attendait?
Un livre et un film rendent compte de cet itinéraire : « Israël, le voyage interdit ».
Le film qui vient de sortir en salles depuis le 7 octobre, dit cette quête de soi dans la découverte de cet autre univers nommé Israël. Cette œuvre filmique hors norme (11 heures partagées en quatre époques) part à la recherche de ses racines juives ignorées (…)
Le livre raconte ce qui précède cette aventure. Il raconte le monde d’avant : l’Algérie, le communisme. Ce récit au double format, livresque et filmique est extraordinaire. Nombreux sont les récits de ceux qui ont qui ont ouvert les yeux sur la réalité communiste pour en comprendre la perversité. Nombreux sont les Juifs qui avaient choisi la foi du XXe siècle pour fuir  leur condition. L’espérance communiste s’était substituée à l’espérance nourrie des textes bibliques. La catastrophe nazie, succédant aux pogroms sous les tsars ou les califes, poussait les Juifs à se réinventer. Le communisme devint, pour un temps, l’autre manière d’être juif. Annie Kriegel, Anatoli Charanski, Henri Curiel, Jacques Hassoun, Benny Levy eurent des trajets parallèles, tous Juifs et tous communistes dans leurs jeunesses, différents parce que construits dans des contextes historiques et géographiques à la fois différents et proches. Tous sont inscrits dans les récits de la seconde moitié du XXe siècle. (…)
A la fois témoin et acteur dans l’Algérie indépendante, Lledo parle en connaissance de cause. Il connaît son sujet de l’intérieur, il s’y est colleté. Du monde arabe, il connaît les faux-semblants, sa rhétorique, sa violence et ses masques. Du communisme il connaît les mots qui disent le Bien pour cacher le Mal. C’est en Algérie que la synthèse des deux mécaniques va être la plus performante. (…)
Ce livre est à la fois un témoignage exceptionnel sur l’Algérie d’après l’indépendance autant qu’un essai politique sur les passions idéologiques qui ont irrigué les deux bords de la Méditerranée. On y découvre avec force détails cette composante occultée dans tous les récits « progressistes » de la guerre d’Algérie constitué par le projet d’épuration ethnique de l’Algérie indépendante. Les Pieds-Noirs doivent partir et les Juifs deviennent indésirables sur cette terre où ils étaient présents depuis les premiers siècles de l’ère commune. (…)
Après avoir quitté l’Algérie pour sauver sa peau, l’exil en France l’avait défait, fracassé. Qui était-il ? La rencontre avec Israël, la découverte de cette autre part de lui même lui apparaît désormais comme une évidence : ce n’est pas un pays que Lledo découvre, c’est la coïncidence d’une terre et d’une secrète aspiration. Il est là où il devait être après cinquante ans d’errance psychique et politique. (…)
Lledo a bouclé sa boucle.
Il a réduit sa part de comédie.
Il est ce qu’il est.