Yves Chiron, Présent : « Vers un califat universel ? »

Vers un califat universel ?

 

« Bat Ye’or (en hébreu « fille du Nil ») est le nom de plume de Gisèle Littman, essayiste britannique de confession juive. Son histoire personnelle – elle a été expulsée d’Égypte avec sa famille à l’époque de Nasser – l’a rendue particulièrement sensible à la condition des non-musulmans (juifs et chrétiens) dans les pays musulmans. Son maître livre est un ouvrage d’histoire : Les chrétientés d’Orient entre Jihad et dhimmitude, qui traire du sort des chrétiens en terre d’Islam du VIIe au XXe siècle (…) Bar Ye’or a forgé le concept de « dhimmitude » (par analogie avec le mot « servitude »), dont l’usage s’est répandu. La dhimmitude étant définie par elle comme « la civilisation des peuples vaincus par le jihad et soumis aux lois de la charia au cours de treize siècles d’histoire ». Elle a tenté d’imposer, pareillement, la notion d’ »Eurabia », avec moins de succès. Spécialiste bien informée des questions musulmanes contemporaines, Bat Ye’or a été interrogée, à plusieurs reprises, par des commissions d’enquête du Congrès américain.
Avec son nouveau Livre, elle cherche à montrer que l’ambition des musulmans, à travers l’OCI, est d’établir un « califat universel », c’ est-à-dire une sorte de gouvernance de toutes les minorités musulmanes dans le monde. L’Organisation de la Conférence islamique, fondée en 1969, est constituée des représentants de 56 pays musulmans ou à majorité musulmane ; c’est la deuxième organisation internationale, en nombre, après l’ONU.
Bat Ye’or présente ainsi la stratégie de l’OCI en Occident : « maintenir les deuxième et troisième générations d’immigrés dans leur culture d’origine, les enraciner dans la foi islamique et les assujettir aux commandements du Coran et de la charia tout en leur donnant les outils nécessaires à la réalisation des objectifs de l’islam en Éurope » (p. (41).
Bat Ye’or relève, justement, comment les gouvernements comme les institutions européennes se plient, le plus souvent, aux exigences, réclamations ou suggestions de l’OCI, en matière de culture, d’expansion du culte musulman et de préservation des traditions islamiques. Sans parler de l’ »autocensure » qui accélère, pour ainsi dire, le processus de dhimmitude.
Les démonstrations de Bar Ye’or auraient mérité d’être organisées dans un plan plus structuré. Mais surtout elles sont entachées d’affirmations outrancières ou même complètement infondées. Prenons-les dans l’ordre chronologique. La participation des « populations musulmanes du Maroc » aux combats contre l’Allemagne nazie constituerait « un mensonge flagrant » (p. 196). Les chiffres des combattants d’Afrique du Nord (européens et maghrébins) sont pourtant bien connus.
En 1967, au moment de la guerre des Six Jours, se serait instaurée en France, sous De Gaulle, « une sorte d’antisémitisme d’État » (p. 167). Ailleurs, Bat Ye’or affirme qu’« en 1973 la Communauté européenne contribua à créer un nouveau peuple et un nouveau nationalisme inexistant jusque-là : le Palestinisme » (p. 160).
Et encore, l’appel de l’OCI « à la lutte contre la judaïsation » et le principe de la « terre contre la paix », adressé au Vatican et aux instances chrétiennes, aurait trouvé un écho dans la décision de Benoît XVI de réunir un synode sur le Moyen-Orient (p. 67 et note p. 206). L’ouvrage de Bat Ye’or a été achevé avant que ce synode annnoncé ne se réunisse, en octobre dernier. C’est dommage. L’essayiste si passionnément pro-israélienne aurait pu entendre ou lire les interventions alarmées et lucides de nombreux évêques du Moyen-Orient, inquiets et meurtris des progrès de la « dhimmitude », même si le terme n’a pas été employé (sauf erreur de ma part).
Mises à part ces regrettables scories, ce nouveau livre de Bat Ye’or met en lumière, de façon courageuse et bien informée, les relations institutionnelles entre l’Union européenne et l’OCI et montre bien les renoncements successifs des États face à l’expansionnisme, social, culture ! et religieux de l’Islam en Europe. »

Yves Chiron, Présent