Rothko peintre mystique

par Ghislain Chaufour

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64 pages, 12 €


« Je suis devenu peintre car je voulais élever la peinture pour qu’elle soit aussi poignante que la musique et la poésie. »

Dans un monde à présent saturé d’images, encombré d’émotions fugitives parfaitement orchestrées et dans lesquelles le silence de la vie intérieure a presque été complètement englouti, cette ambition à la fois démesurée et dérisoire de Mark Rothko (1903-1970) est devenue difficile à comprendre : la peinture (comme la littérature, d’ailleurs) ne faisant presque plus partie des préoccupations de la société, elle subsiste enfouie dans les musées ou négociée par les grandes entreprises de mécénat, comme un trésor somptueux du passé.
Seuls quelques géants comme Rothko ou Soulages rappellent l’aboutissement ambigu de l’art de peindre au XXe siècle que deux millénaires de christianisme auront libéré et exalté en bénissant les noces du Dieu invisible avec la chair humaine au point de presque représenter l’Infini dans le réceptacle ordinaire de l’individuation, tombeau de sa « transdescendance » …
À l’inverse des concepteurs bricolant aujourd’hui des installations éphémères Mark Rothko a peu discouru sur son art et s’est seulement efforcé de l’exercer. C’est pourquoi « l’herméneute parle en son nom, s’engage en une réponse et responsabilité achevée en une œuvre d’hommage, d’intelligence et de louange… » La voici. C’est le mérite de Ghislain Chaufour de suivre son admiration pour le maître, l’émotion personnelle provoquée par son art et l’injonction à lui répondre pour situer exactement l’ambition du peintre au sommet d’une construction métaphysique et poétique rigoureuse : « La peinture “abstraite”, non-figurative, serait-elle semblable à la poésie “pure”, dont on a dit que l’on ne doit pas chercher à la comprendre, qu’elle se goûte seulement musicalement et magiquement ? » Eh bien non, va-t-il loyalement tenter de montrer, dans la grande tradition interprétative de l’Occident mais avec la véhémence, la révérence et la délicatesse d’une admiration infinie. « L’art de Rothko, après avoir été expressionniste, appartient (à partir de 1949) à l’abstraction mystique la mieux voyante. »
Cette monographie se passe de reproductions, sa classification, son analyse ne se substitueront pas à la rencontre de l’œuvre et à une authentique contemplation, mais comme les cailloux du petit Poucet, elles permettront d’en retrouver la trace à chaque rétrospective ou devant chaque réel tableau.

• Exposition Mark Rothko à la Fondation Louis Vuitton, jusqu’au 2 avril 2024.

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Né en 1950, essayiste et romancier, éditeur et traducteur, collaborateur de la nrf pendant une dizaine d’années (critique littéraire et philosophie), puis d’autres revues (La Revue littéraire, brièvement dirigée par Richard Millet, etc.), Ghislain Chaufour a publié des récits et des essais de critique littéraire, notamment « Cinq pièces faciles » pour un Francis Ponge (Le Temps qu’il fait, 1990) ; Candide antérot. Voltaire commenté à partir des vingt-six « images à Candide » de Paul Klee (Les provinciales, 2009) ; Paris-Jérusalem. Un itinéraire spirituel. Entretiens avec Augustin Czartorisky (Les provinciales, 2014) ; et l’incomparable Traité d’harmonie littéraire (Les provinciales, 2021).


« Maintenant j’étais fixé, l’objet nuisait à mes tableaux. »

Mark Rothko


« Qu’est-ce qu’un sujet pictural non emprunté à la nature ? »

Ghislain Chaufour