La Fontaine ou la sagesse des dieux
Le philosophe Pierre Boutang avait tiré du fabuliste un art politique profond et fécond.
On s’en voulait depuis quelque temps de ne pas avoir trouvé celui de signaler cette réédition, somptueusement illustrée d’animaux tracés à l’encre de Chine par Gérard Breuil, d’un des maîtres livres de Pierre Boutang, et sans doute le plus accessible de cet auteur dont la pensée allait souvent trop vite pour la plume. Et ce n’est pas un hasard s’il a pour matière le plus populaire de nos écrivains classiques.
Si La Fontaine reste ainsi « notre Homère », comme le vantait Sainte-Beuve, c’est aussi au prix d’un malentendu : si le fabuliste nous conte des histoires « du temps que les bêtes parlaient », ce n’est pas pour être entendu des enfants, mais pour retrouver, par cet artifice, la « langue des dieux » , cette sagesse universelle pas encore polluée par la folie des hommes. « Récits d’escapades dans la forêt de l’être », selon la belle formule de Boutang, les Fables fournissent bien des réponses « à la question de ce que doit être une société, pour survivre ou pour bien vivre ». « À qui sait le lire , écrivait le critique Lucien Dubech, son œuvre est le florilège le plus complet, le plus fin, et le plus profond d’un art politique qui n’est jamais drapé sous le vêtement rigide et grossier du système, mais offert à une humanité supérieure sous le voile souple et harmonieux de l’allégorie. » Et c’est ainsi, note Maurras dans sa préface, que La Fontaine « continue d’être, comme un roi capétien, l’instrument de notre unité ».