Bernard-Henri Lévy et Sébastien Lapaque, Revue des deux mondes : « L’idéologie française de l’universalisme abstrait. »

Sébastien Lapaque, pour la Revue des Deux Mondes. – Lorsqu’on lit l’Esprit du judaïsme, publié en 2016, puis l’Empire et les cinq rois, qui vient de paraître, on a le sentiment qu’une des angoisses de votre vie est de vivre de nouveaux accords de Munich. Mais l’une des misères de notre temps n’est-elle pas de nous faire assister sans cesse à de nouveaux Munich ?

Bernard-Henri Lévy. — Oui, mais c’est à cette misère que je ne me résous précisément pas. En démocratie, Munich est une catégorie quasi ontologique. C’est la pente naturelle des démocraties. Leur noblesse est qu’elles ne font pas la guerre de gaîté de cœur (…)

SL. Vous évoquez volontiers votre « combat pour un islam des Lumières ». Vous ne partagez donc pas le sentiment de ceux qui pensent que cette religion a muté de manière définitive dans une interprétation violente. Et vous croyez possible le retour des soufis rêveurs à l’âge des satellites de télécommunication ?

BHL. Premièrement, je crois qu’on n’a pas le choix. Ou bien on croit à cet islam des Lumières, ou bien on se résigne aux guerres civiles généralisées (…)

SL. Dans l’Esprit du judaïsme, vous évoquez Franz Rosenzweig, Emmanuel Levinas et René Girard. Ces trois penseurs furent des acteurs importants de lectures et de réflexions croisées entre juifs et chrétiens. Cet élan s’est-il perdu ?

BHL. (…) Dans Nostra Ætate même, dont la rédaction a pris des mois, il est d’abord question des musulmans, des bouddhistes et des athées. Et le dernier paragraphe sur lequel les pères conciliaires se sont mis d’accord, au dernier moment, quand tout le monde était épuisé, comme des gladiateurs dans l’arène, c’est celui qui concerne les juifs. Eh bien ce paragraphe minuscule et ultime a changé la face du monde. Si les juifs sont moins seuls aujourd’hui, s’ils sont plus forts, c’est à cause de cette main tendue par les chrétiens. (…) 

SL. Il y a quarante ans, lorsque vous prépariez l’Idéologie française, imaginiez-vous que les nazis trouveraient à Paris une relève islamiste pour achever leurs crimes ?

BHL. Des islamistes, non, je ne l’imaginais pas. Encore que… (…)

SL. Une nouvelle conscience commune face aux assauts anti-bibliques ne vous apparaît-elle pas entre Israël et les judéo-chrétiens français ?

BHL. Une conscience, donc une alliance sur ce point ? Je le crois. Je parle depuis longtemps de l’alliance judéo-catholique comme du rempart principal des juifs de France et d’Europe. (…)